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4 septembre 2008 4 04 /09 /septembre /2008 09:51


Le Général

André Samie

 


La chute fut longue et vertigineuse, la réception brutale. Le nuage de poussière retomba lentement sur le corps inerte. Le Général reprit connaissance brusquement et sauta sur ses pieds en un rien de temps. Il vacilla. La tête lui tournait et sa vision était trouble. Respirant lentement, il tenta de rependre ses esprits. Sa première surprise fut l’absence de douleur. Il palpa lentement son torse et constata que ses blessures avaient disparu. Son uniforme sombre portait encore la trace des coups reçus mais nulle présence du sang qui, un instant auparavant, s’écoulait à flots bouillonnants. Que s’était-il passé ? Où étaient ses ennemis ? Où était-il ? Ses yeux s’accoutumèrent enfin à la pénombre ambiante.

    Des tombes ! Des milliers, des millions de tombes se dressaient autour de lui, pierres sombres sur un sol de cendres, s’étendaient à perte de vue jusqu’au pied des hautes falaises de roches noires qui le cernaient de toute part. La sinistre vallée mortuaire était baignée dans la lueur grisâtre du crépuscule. Haut dans le ciel, un soleil moribond jetait un faible halo rougeoyant impuissant à percer l’obscurité. L’odeur de la mort flottait en de longues écharpes brumeuses qu’un vent glacial faisait tourbillonner. Le Général frissonna tant d’angoisse que de froid.

- Ainsi, c’est donc cela le Royaume des Morts ?

- Non.

Il sursauta et se retourna, sa lame déjà en main. Un enfant, assis sur une stèle, le fixait de ses yeux bleus délavés. Il devait avoir une dizaine d’années. Ses vêtements noirs faisaient ressortir la pâleur morbide de sa peau et ses longs cheveux blonds éclataient comme une insulte au décor malsain environnant. La surprise passée, le Général remit son arme au fourreau.

- Bonjour, petit. On m’appelle le Général. Et toi, qui es-tu ?

- Je suis le Dernier et mes parents m’ont appelé Espoir.

- Le Dernier ? Que veux-tu dire ?

- Je suis le dernier humain de notre terre.

- Je ne comprends pas…

- Tu n’es pas arrivé dans le domaine de la mort. Tu es ici à la Fin des Temps. Et je suis le dernier homme encore en vie sur notre terre.

- Tes paroles sont énigmatiques.

- Tu comprendras Général.

Un voile de brume enveloppa la silhouette du garçon. Quand il se dissipa, le Dernier avait disparu de la vue du Général. Consterné, il réfléchit un long moment. Quel était donc ce maléfice ? Etait-il mort ? Et quel était cet étrange endroit qui lui semblait familier ? Il soupira. Il était un homme d’action, un combattant et un meneur d’hommes. De là où il venait, on disait de lui qu’il était le meilleur, à tel point qu’on ne l’appelait plus que Général. Jusqu’à ce qu’il tombe dans cette embuscade. Les lances de ses adversaires l’avaient transpercé de part en part. Et maintenant, il se retrouvait ici.

Au loin, il pouvait distinguer les lignes acérées des falaises s’abaissant jusqu’à ce qui semblait être une brèche dans les murailles rocheuses. Il se mit donc en marche dans cette direction. Cet objectif à atteindre lui évitait de sombrer dans la folie, même si son désarroi demeurait entier. A chaque enjambée, ses bottes de cavalier soulevaient de petits nuages de cendres. Il reconnut le style de certains sépulcres ou mausolées. Il s’agissait de tombes de guerriers.

Il marchait depuis un long moment et le soleil n’avait pas bougé d’un pouce, suspendu haut dans le ciel, tel l’œil d’un mourrant sur le point de s’éteindre pour toujours. Le Général ne ressentait nulle fatigue et ni faim, ni soif. Le garçon avait-il dit la vérité ? Le temps s’était-il figé pour l’éternité ? Jamais il n’avait ressenti un tel sentiment d’abandon.

- Je t’attendais Général.

La lame apparut dans sa main comme par enchantement. Sur la défensive, il chercha la source de cette voix calme et apaisante. Une douce chaleur vint lui caresser le visage puis il perçut une lueur réconfortante dissiper la pénombre. Bientôt une formidable silhouette se dessina dans une aura de lumière. Un guerrier se tenait maintenant face à lui. Vêtu d’une armure resplendissante et recouvert d’une cape d’un blanc immaculé, il rayonnait d’une puissance aussi sereine qu’inflexible. Un heaume, surmonté d’une couronne de joyaux étincelants, recouvrait entièrement sa tête. Le Général ressentit une impression de bonté et de compassion mais aussi un irrépressible désir de ployer le genou face à cette créature. Puisant sa force dans une volonté aguerrie par des années de combat, il resta sur ses gardes.

- Qui es-tu ?

- Tu n’as rien à craindre. Je suis le Bien.

- Et pourquoi m’attendais-tu ?

- Pour mettre enfin un terme à ce jour sans fin.

- Comment cela ?

- En participant à la Dernière Bataille. En décidant de l’issue de la Guerre des Dieux.

- Tu parles par énigme.

- En me rejoignant, tu permettras à ce monde de connaître une nouvelle ère. Une ère de paix et d’harmonie. La destinée de l’homme est entre tes mains.

- Entre mes mains ? Je ne suis qu’un homme et les affaires des Dieux n’ont jamais été les miennes.

- Tu es plus qu’un homme. Tu es le Général.

- Que veux-tu dire ? Que je dois prendre le commandement de ton armée ?

- Tu comprendras bientôt. Je t’attendrai et nous combattrons ensemble.

La silhouette se dilua lentement, laissant le crépuscule reprendre ses droits sur ces terres désolées. L’esprit toujours aussi confus, le Général resta immobile. Avait-il vraiment un rôle si important à jouer ? Ou bien était-il devenu fou ? Il secoua la tête. Il ne pouvait que subir, que ce monde agonisant soit réel ou qu’il soit en plein délire. Il se réfugia dans l’objectif qu’il s’était fixé et reprit sa marche. Cet endroit était sans doute possible maudit et, qu’elle que soit la façon dont il était parvenu ici, il n’avait plus qu’à espérer que les réponses se présenteraient tôt ou tard.

Au fur et à mesure de sa progression, la vallée devenait plus étroite et bientôt il aperçut enfin un défilé qui lui permettrait de la quitter. Sa visibilité était mauvaise et il distinguait mal ce qui pouvait bien l’attendre plus loin. Malgré la longue marche, ses forces lui revenaient. Mieux encore, il lui semblait que son corps et son esprit n’avaient jamais été aussi affûtés. Il ignorait toujours quel était le sens de cette histoire mais il se savait en mesure d’affronter n’importe quel danger. Fort de cette certitude, il allongea le pas.

- Ainsi, c’est donc toi le fameux Général ?

Une nouvelle fois, le guerrier sursauta et, par réflexe, se mit en garde. Les habitants de cette contrée avaient-ils tous la fâcheuse habitude d’apparaître sans crier gare ? Il se retourna et aperçut la plus terrifiante créature qui lui fut donnée de contempler. Une forme humaine massive de plus de trois mètres de haut se tenait quelques pas derrière lui. Elle était entièrement recouverte d’une sinistre armure qui luisait d’une lueur malsaine. Hérissée de pointes et d’ergots menaçants, elle suintait d’un liquide visqueux et rougeâtre qui ne pouvait être que du sang. L’être portait un heaume lui dissimulant entièrement le visage. Dessus était posé un effrayant diadème de cornes métalliques. Sans baisser sa garde, le Général contemplait l’apparition malgré la révulsion qu’elle lui inspirait. Il sentait frémir en lui la colère et la haine, la soif du sang et la rage du combat.

- Qui es-tu ?

- J’ai eu bien des noms. Pour simplifier les choses, disons que je suis le Mal.

- Et que me veux-tu ?

- Je tenais juste à te rencontrer.

- Pourquoi ?

- Parce que nous serons bientôt amenés à combattre côte à côte.

- Et qu’est ce qui te fait croire que je te rejoindrai ?

- Tu es un guerrier et un chef d’armées. Tu sais ce qu’est la douleur et tu connais la faiblesse de l’homme. Je t’offre le combat éternel. La lutte ancestrale pour la survie, quel qu’en soit le prix. Je t’offre le sang et la gloire. Je t’offre la possibilité d’assouvir toute ta soif de puissance. Tout comme moi, tu respectes la force et tu méprises les faibles. Mon camp est le tien.

- En es-tu si sûr ?

- Tu es le Général. Le meilleur. L’héritier de millénaires de tueries et de massacres. Il ne peut en être autrement.

- Je suppose que je comprendrai bientôt toute cette fantasmagorie ?

- Non. Tu ne comprendras jamais. Tu n’es pas là pour ça mais pour te battre.

- Bien ! Je suppose que nous nous reverrons bientôt ?

- Soit le bienvenu, Général !

L’effroyable créature disparut dans un tourbillon de noirceur laissant derrière elle l’odeur écœurante du sang frais. Une moue de contrariété se dessina sur le visage buriné du Général. Cette impression de n’être qu’un pion, le jouet d’un destin qu’il ne maîtrisait pas, l’agaçait au plus haut point. Un frisson qu’il connaissait bien le submergea. Il était temps pour lui de reprendre les choses en main. Il s’étira et lança un hurlement sauvage dont les échos se répercutèrent longtemps entre les falaises de la ténébreuse vallée.

D’un pas décidé, il reprit son chemin. Les tombes se faisaient de moins en moins nombreuses et disparurent bientôt derrière ses pas. Soudain, une bourrasque dissipa le brouillard et, incrédule, il découvrit face à lui un extraordinaire édifice siégeant au sommet d’une large et abrupte colline. Sur le ciel grisâtre se découpaient les monumentaux vestiges d’une forteresse comme il n’en avait jamais vu de pareille. Sept rangées de fortifications percées de barbacanes et de meurtrières s’étendaient sur plusieurs kilomètres, les remparts atteignaient par endroit une centaine de mètres de hauteurs et sur les parapets et les chemins de ronde plusieurs milliers de soldats pouvaient prendre place. Un donjon massif émergeait d’une forêt de tours et de beffrois. Malgré les ravages du temps et des combats qui marquaient ses pierres, la citadelle donnait une impression d’invulnérabilité et d’éternité.

Cette vision était saisissante et le Général s’en délecta un long moment. Sa foulée se fit plus rapide, et, sous l’œil fixe et indifférent du soleil rouge, il gravit l’étroit chemin qui menait au pied de ce titanesque bastion. De loin, il aperçut la tête blonde du garçon qui l’attendait près de l’entrée.


(A suivre)
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commentaires

T
Hello Xavier,<br /> Ben oui, comme toi, je suis adepte des expérimentations. ;o)<br /> Ce texte est plus un texte "d'ambiance" (et une dédicace... tu me diras à la fin si tu trouves à qui/quoi). Ouaip, à l'occas, j'serai aps contre une béta. Ce texte est un de mes "chouchous" malgré ses faiblesses.<br /> Macada, oui, cette photo colle très bien, merci ! Un bel exemple de la formidable variété des paysages de la Réunion. ^^<br /> <br /> André
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M
Oui, Xavier, c'est la Plaine des Sables. La caldera du Piton de la Fournaise comme décor de la Fin des Temps, cela s'imposait n'est-ce-pas ? Puisse le Général en respecter les cendres !
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X
marrant de lire cette histoire sombre après les aventures de Kruger, tu as une belle palette.<br /> J'attend la suite avec impatience. (tu voudras une beta ?)<br /> Question à l'attention de Macada : c'est la plaine des sables, la photo ?
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