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2 octobre 2009 5 02 /10 /octobre /2009 12:51
Le margouillat de Grand-Mère Kal

Marie-Catherine Daniel



Naomé rentre de l’école, seule. Maman n’est pas venue la chercher. Maman a eu un accident. Elle est à l’hôpital.

À la maison, il n’y a personne. Papa est auprès de Maman. Elle, elle n’a pas le droit de voir Maman : les enfants ne sont pas admis en salle d’urgence.

Ce matin, Papa lui a confié la clé de la maison. Il lui a expliqué qu’il resterait près de Maman toute la journée et qu’elle devrait se débrouiller seule après l’école. Puis Papa a pleuré.

Naomé aussi a très envie de pleurer. Mais elle se retient. Elle pose le cartable et elle quitte la maison sans oublier de refermer à clé.


 

Naomé n’a pas beaucoup écouté à l’école aujourd’hui. Elle a beaucoup pensé à ce qu’elle pourrait faire pour Maman. C’est pendant la séance en créole qu’elle a enfin eu une idée. Laura a raconté une histoire. Naomé n’y a pas vraiment prêté attention sauf quand Grand-Mère Kal y a fait son apparition. A la Réunion, là où vit Naomé, Grand-Mère Kal, c’est à la fois, le Grand Méchant Loup et la Fée Carabosse. Mais elle a de grands pouvoirs et elle accepte quelquefois d’aider quelqu’un…si on est prêt à en payer le prix.

Naomé, comme tous les enfants du quartier, sait où habite Grand-Mère Kal. Les adultes ont beau dire que la sorcière n’existe que dans les contes et que Madame Payet n’est qu’une tisaneuse un peu folle, tous les enfants savent qu’ils disent ça pour les rassurer. La preuve : tous les parents ont interdit de s’approcher de la vieille femme.

 

Naomé est arrivée dans l’impasse où habite la sorcière. Elle longe la haie d’alamanda. Elle se rappelle Maman qui dit : « Tu vois ces fleurs jaunes, comme elles sont belles. Surtout n’y touche pas ! C’est un poison violent ! ».

La fillette a atteint le portail. Elle s’arrête. Le jardin qui entoure la maisonnette délabrée est magnifique. Il déborde de plantes. « Comme elles sont belles ! » pense Naomé. « C’est un poison violent ! » répète Maman. « Dans sa cour, Elle fait pousser ses tisanes de mort. », chuchote, lugubre, le grand frère de Vali. Naomé secoue la tête pour en chasser les souvenirs indésirables. Elle prend une grande inspiration mais sa voix est toute faible quand elle appelle : « Il y a quelqu’un ? ».

Immédiatement, l’horrible femme est au portail. Elle a surgi d’un buisson, comme un diable de sa boîte. Naomé est pétrifiée. Le regard de la sorcière la brûle jusqu’au cœur, un rictus moqueur plisse la vieille face burinée soulignant le nez crochu et bosselé. Puis, mystérieusement, les yeux s’adoucissent et leur éclat devient sagesse, le ricanement s’estompe, se transforme en sourire. Naomé se dit que Grand-Mère Kal doit faire semblant. Pourtant elle est un peu rassurée.

« Maman a eu un accident. » commence-t-elle timidement. Et comme la sorcière lui fait signe de continuer, elle lui raconte tout.

Quand elle a terminé, la vieille femme la scrute longuement. Son visage prend un air rusé et elle susurre :

« Tout service a son prix, tu le sais ? »

Une grosse boule envahit la gorge de Naomé. Elle ne peut plus parler, alors elle fait « oui » de la tête.

« Si je t’aide à sauver ta mère, es-tu prête à devenir mon apprentie ? Tu viendras, ici, deux fois par semaine et je t’apprendrai mes secrets. Un jour, ce sera toi, la tisaneuse. »

La petite fille est soudain très faible. Ses jambes flageolent, ses mains sont envahies d’un picotement, sa vue se brouille. Mais elle n’a pas le choix ! Elle sera donc la prochaine Grand-Mère Kal.

Elle tend les mains devant elle, pour montrer qu’elle ne croise pas les doigts, et, courageusement :  « je le jure sur la tête de ma mère »

« Qu’il en soit ainsi ! » approuve la sorcière.

Elle fouille dans la grande poche de son tablier de jardinière.

« Tend tes mains » ordonne-t-elle.

L’enfant obéit et la sorcière dépose au creux de ses paumes un jeune margouillat. Celui-ci est rose et transparent : on voit ses organes internes. Naomé est un peu dégoûtée mais ne bouge pas. La bestiole ne bouge pas non plus, elle fixe l’enfant avec d’adorables yeux noirs.

La sorcière sort alors de son corsage une chaîne d’or qu’elle a autour du cou. À cette chaîne, en guise de médaille, un petit ruban rouge que la vieille femme détache soigneusement. Délicatement, elle le noue à la patte du margouillat.

« Tu vas aller à l’hôpital. Là-bas, tu avaleras le margouillat. Alors tu pourras entrer car personne ne te verra. Tu trouveras ta mère et tu lui attacheras le ruban rouge au petit doigt. Puis tu souffleras trois fois  dessus et trois fois tu prononceras : « Maman, reviens. Maman, je t’aime. ». As-tu compris ? »

« Oui » répond Naomé.

 

La marche a été longue jusqu’à l’hôpital. Maintenant, Naomé est devant l’entrée. Il n’y a que des adultes, certains en blouse blanche et d’autres qui ont l’air triste. Personne ne fait attention à elle mais elle comprend que si elle entre il y aura forcément quelqu’un qui demandera ce qu’elle fait là. Alors elle saisit fermement le margouillat par la queue – il gigote un peu – penche la tête en arrière et ouvre grand la bouche. À peine le museau froid a-t-il touché sa langue que le monde bascule.

Naomé se retrouve dans une forêt. Son regard est attiré par une tache rouge. C’est le ruban et il est attaché à son poignet…  euh ! à sa patte. Car Naomé est devenue le margouillat. C’est parce qu’elle est maintenant minuscule que l’herbe lui paraît une forêt !

Puis Naomé prend conscience des odeurs. Des odeurs de médicaments, des odeurs de malades…et parmi elles l’odeur de Maman. Le petit margouillat rose ne peut pas résister : il s’élance, se faufile à travers les herbes, il atteint le bâtiment, si immense qu’il ne peut en voir les limites. Il se met à grimper. Il monte, il monte. Le chemin est long mais l’odeur se précise. Enfin, voici, la bonne fenêtre. Bien sûr, elle est fermée, mais l’odeur se faufile à travers le climatiseur qui la surplombe. Naomé, se glisse à sa rencontre sans s’inquiéter des mécanismes qui risquent de la broyer – le margouillat a l’habitude !

Maman est là, pâle et immobile. Papa, debout, est attentif à son moindre souffle.

Naomé s’approche. Vite, car elle sent qu’il y a urgence, elle détache le ruban avec ses ventouses. Elle s’emmêle un peu, doit s’y reprendre plusieurs fois avant de réussir à le nouer autour du petit doigt de Maman. Son premier souffle est un peu tremblotant ainsi que son premier « Maman, reviens. Maman, je t’aime. ». Mais les deux autres sont si fervents qu’elle en ferme les yeux.

Le long corps sous le drap blanc tressaille. Papa sursaute. Maman a ouvert les yeux. Elle demande « Où suis-je ? ».

Le margouillat repart déjà mais en pénétrant dans le climatiseur, Naomé entend Papa qui rit.

 

 

Le premier secret que la sorcière a confié à Naomé, est la recette d’une délicieuse pâte de fruits. Depuis déjà plusieurs jours, la petite fille appelle la vieille dame « grand-mère »…sans rien y ajouter de plus.




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commentaires

M
<br /> Contente que ça te plaise. :-)<br /> Biz à toi zaussi<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Ah, une très jolie histoire, j'aime beaucoup !<br /> biz m'dame !<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci mesdames ! *rose de plaisir* (mais pas transparente ;-))<br /> :-)<br /> <br /> <br />
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N
<br /> J'adore aussi !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Très charmant conte qui souffle un esprit d'ailleurs.<br /> <br /> <br />
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