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  • : 'zine littéraire - Lecture (sur le web)- Ecriture - Auteurs et textes en tout genre et pour tout genre (humains, enfants, poètes, loups, babouks...)
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25 septembre 2008 4 25 /09 /septembre /2008 06:20


Catherine


Louis-Euphème Tinturier, Marie-Catherine Daniel

 


Jusqu’à ses 14 ans, Tante Catherine avait poussé en saine et forte fille. Le minois rondouillard et franc, l’humeur serviable et gaie, elle débordait d’allant. Dure à la tache, pieuse, toujours proprette, lui trouver un maître n’avait guère posé problème. Soeur Anaïs de l’Hôpital, sollicitée par Grand-Père, avait non seulement prêté sa sagacité à l’affaire mais aussi, une fois le choix arrêté, effectué elle-même la présentation à monsieur Lemarchand. En moins d’une heure, le serrurier, dont la femme venait de mettre au monde leur quatrième enfant, avait envisagé puis accepté l’embauche. A l’aube du lendemain, pour la première fois, Catherine avait noué le tablier à fines rayures des domestiques. (Identique à celui qu’elle porte encore maintenant, si ce n’est hélas que la longueur en a été beaucoup raccourcie.)


 

Quelques semaines suffirent à la nouvelle servante pour s’intégrer à la maisonnée Lemarchand. Le travail ne s’y arrêtait que pour les vêpres mais le maître régnait avec bonhomie et Julie Mercier, la vieille bonne, avait immédiatement pris la jeune fille sous son aile.

L’accident survint le 18 juillet 1824.

Les deux domestiques avaient entrepris de monter au grenier des sacs de blé de 100 kg. Au second voyage, la vieille femme trébucha. Elle en fut quitte pour une cheville foulée. Catherine, elle, dégringola l’escalier en même temps que sa charge, et s’y cassa les reins.


 

Je n’ai pas connu Tante Catherine autrement que toute petite, maigrelette et difforme. Pourtant, je n’ai aucun mal à voir en elle la bonne fille sérieuse et gaie que mon père m’a souvent racontée. Elle n’évoque jamais sa jeunesse et seul son tablier témoigne qu’il lui en reste quelques regrets. Elle est devenue couturière et chante du matin au soir pour se donner coeur à l’ouvrage.

 

 

 

 



Petite histoire :

Louis-Euphème Tinturier (1861-1929) « aimait bien » sa grand’tante Catherine (certainement 1810-1880). Il en a relaté la vie dans une lettre à son fils, Pierre, datée du 1er juillet 1919. Cette lettre m’inspire beaucoup et ce petit texte est un premier essai de construction d’un personnage à partir de la Catherine qui a vraiment existé.

Petit cadeau pour ceux qui comme moi s’émeuvent d’une vieille lettre ou d’un portait, je n’ai pas de photo de Catherine, mais j’en ai une de mon « co-auteur » :



 

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22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 06:20


Un grand type avec une gueule de tueur


Xavier de Viviés

 


Je l’avais repéré déjà, quelques minutes plus tôt, dans la file d’attente sur le quai d’embarquement de la navette fluviale. Un grand type, avec une gueule de tueur, sans chapeau ni poil d’aucune sorte. Un crâne chauve et bronzé qui brinqueballait tout seul au-dessus des autres, comme un ballon sur une rivière de têtes. Enfin … de près il avait plutôt une drôle de tête qu’une gueule de tueur. Et c’était sa voix qui conduisait à ce résultat bizarre, une voix de gamin rigolard et curieux qui contredisait complètement l’impression de violence qui se dégageait du reste de sa physionomie,Son salut, lancé cordialement à la cantonade quand il pénétra dans le compartiment, avec sa voix d’angelot qui sortait d’une tête de barbare, avait produit un effet qu’il connaissait certainement par cœur. Gestes suspendus, airs incrédules, des mines amusées, d’autres franchement sceptiques : pendant cinq secondes, il capta toutes les pensées qui tournaient dans ce compartiment. Il sourit vaguement, avec un air de gentille condescendance, comme on le ferait à une plaisanterie d’enfant répétée pour la dixième fois, puis il se dirigea vers moi et  me demanda s’il pouvait s’asseoir sur la banquette en face de la mienne. Il voulait utiliser la tablette escamotable qui se trouvait entre nos places pour y poser ses affaires, un travail à continuer me dit-il. Mais son air gourmand démentait la connotation laborieuse du terme « travail » qu’il venait d’utiliser. Il ouvrit un vieux cartable en cuir et déballa ce qui ressemblait à des fragments de carnets, passablement abîmés, couverts d’une écriture dense et précise, ainsi qu’un gros bloc note, à peu près neuf, dont les pages s’ornaient d’une autre écriture, vaste et mouvante, et qui laissait la plus belle part au blanc du papier. Je n’eus pas à forcer beaucoup pour l’inciter à m’expliquer ce qu’étaient ces vieilleries. Il se lança tout de suite dans une explication passionnée. Son visage me captivait par l’inquiétude amicale avec laquelle il me fixait, mais il m'aurait presque inquiété tant il avait l’air d’être engagé dans une mise au point musclée. Ses sourcils froncés, la ride verticale qui barrait son front comme un coup de sabre, sa posture, pas vraiment assise, prêt à bondir, m’auraient terrifié s’il n’avait eut cette voix de môme pour démentir tout le reste. J’étais fasciné, littéralement, comme un jeune singe devant un cobra débonnaire.


 

 

Petite histoire :

Ce texte est une des contributions à l'atelier d'écriture n°7  des Défis de la Mare. La consigne était : « En 2000 signes environ, décrire un personnage sans utiliser les mots yeux, regard, cheveux, lèvres, bouche, paraître, sembler, être ; sans utiliser de couleurs ; sans faire le détail des vêtements.»

Par ailleurs, Xavier est l'un des habitants de l'Antre-Lire.

 

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15 septembre 2008 1 15 /09 /septembre /2008 06:06


La dispute


Anthony Boulanger

 


Pour l'instant, le mâle mène par deux à zéro. Il faut dire qu'il connaît son sujet le bougre. En trois ans, c'est la cinquième copine avec laquelle il se dispute à mon sujet… Ah, la femelle commence à reculer et à attaquer les sujets sensibles. Belle manœuvre de contournement ! Classique, mais toujours efficace en général : on change d'objectif pour mieux revenir au principal.
Mais là, elle a choisi de parler des ex du mâle ! Ah, ma petite poulette, tu n'es pas la première à lui faire ce coup-là ! D'autant plus que niveau ex, tu n'es pas mal non plus, et qu'il va t'assener ça derrière la tête ! Tu ne vas pas t'en relever tout de suite ! Mais il semblerait qu'on soit rentré dans une période d'observation. Te serais-tu rendu compte que le terrain des anciennes compagnes était miné pour toi ? En tout cas, je dois le concéder, beau jeu de jambe autour de la table. Tu t'arrêtes ? Quelle pose de défi admirable, les bras croisés, le regard assassin. Une petite œillade meurtrière pour moi, et ? Et, et ? Oui ! Ca y est ! Ca parle des belles-mères ! J'adore ce sujet, les humains sont tellement incroyables ! Quelle inventivité quand il s'agit de parler de ces femelles-là !
Mais… mais, attendez ! Que vois-je ? La copine se met à sangloter sans prévenir ? Et voici le mâle qui s'approche d'elle et la prends dans ses bras ? Non, ce n'est pas possible, il ne peut pas s'abaisser à cela, il ne peut pas plier aussi facilement, elle n'a pourtant rien de plus que les autres. C'est pas vrai, je dois vraiment tout faire ici !

Je descends d'un saut gracieux du dessus de l'armoire, mon point d'observation préféré et m'approche du couple enlacé. Petit frottement contre les jambes du mâle, petit ronronnement pour attirer l'attention. Voilà, regardez-moi tous les deux, peu m'importe à moi que tu aies les yeux rougies, petite humaine. C'est mon mâle ! Je m'éloigne, me retourne pour m'assurer que les deux me regardent bien. Ils parlent de moi, je le sais, ils sont en train de se réconcilier, on va en venir aux concessions, mais il suffit d'un petit déclic pour tout refaire plonger dans le chaos !
Oh, mais que vois-je sur le dossier de cette chaise ? Ne serait-ce pas le gilet que la femelle adore tant ? Dommage ! Griffes sorties, centre de gravité déplacé. Je me mets debout, je miaule, et schrik ! Oh, mince… Mais quelle maladroite je fais, je crains d'avoir abîmé ce si joli vêtement… Mais mes griffes sont tellement acérées…
Et ça y est, le match peut reprendre de plus belle… Voici un hurlement de première catégorie !
Enfin, je t'avais prévenu dès ton arrivée, femelle, cet humain-là est à moi !

 

 

Petite histoire :

Ce texte est une des contributions à l'atelier d'écriture n°3  des Défis de la Mare. La consigne était : « En 2000 signes environ : décrire une dispute d'un point de vue insolite. Le "point de vue" ne devra pas explicitement se nommer, mais se laisser deviner. »

Par ailleurs, Anthony est l'un des habitants de l'Antre-Lire.

 

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1 juillet 2008 2 01 /07 /juillet /2008 05:47
(photo J. Laval)

Impalpable

Jean-Philippe Drécourt


Notre amour était tellement impalpable que le jour où il nous a quitté, je ne l’ai pas remarqué. C’était comme le soleil couchant un jour de temps gris. Il faisait déjà nuit avant la nuit. Notre amour s’est ainsi dissout dans la grisaille de notre vie, il s’est envolé dans la tempête des événements.

Nous partions en vacances. Tu étais assise à l’arrière de la voiture. Tu lisais un livre à Téo pour passer le temps. Et d’un coup tu as fermé le livre et m’a demandé de m’arrêter, devant ce restaurant, au beau milieu de nulle part, sur une nationale déserte. Tu es sortie, tu as pris les valises, le petit. Tu étais arrivée. Moi pas.

Pas de scène, pas de dispute. J’ai croisé ton regard dans le rétroviseur. Je ne me suis pas retourné. Téo n’a rien dit, comme s’il avait compris et déjà accepté. La porte a claqué mais je ne l’ai entendue que bien plus tard, lorsque j’étais seul sur la route, sous l’influence hypnotique des ombres des platanes.

Alors j’ai pris une grande inspiration. J’étais libre. Pendant une fraction de seconde, l’impalpable s’est matérialisé. J’ai compris ton amour. Tu avais accepté ce que j’étais : un rêveur solitaire et égoïste. Et tu m’avais sauvé. En me quittant devant ce restaurant, en me laissant continuer sans vous. Pour la première fois, j’ai ressenti la connexion. J’ai découvert que l’amour était possible même pour l’handicapé de l’altruisme que je suis. Tu m’as donné espoir. Avec une autre peut-être, mais grâce à toi.

 


Petite histoire : Jean-Philippe est trouvable sur son site.

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4 juin 2008 3 04 /06 /juin /2008 09:28


L'anniversaire


Nous sommes attablés depuis bientôt deux minutes. Kevin avale goulûment ses spaghettis à la bolognaise. C’est le moment de la question annuelle :

- Kevin, que veux-tu pour ton anniversaire demain ?

Il relève la tête. Interrompu en pleine activité masticatoire, il ne pense évidemment pas à refermer la bouche. Une bouillie sanglante menace de déborder la limace molle qui lui sert de lèvre inférieure, une pâte qui s’échappe de la commissure droite s’égoutte sur le torchon qu’il s’est noué autour du cou. Son air ravi puis son désarroi quand il réalise qu’il doit trouver une réponse, je les connais par coeur. Ils m’écoeurent.

Cependant je patiente, c’est mon rôle de mère et je m’y tiens.

Enfin son regard s’illumine - si tant est qu’il peut le faire...

- Je voudrais qu’on aille manger tous les deux à la pizzeria. Dis Maman, dis oui !

Voilà, comme d’habitude, les idées, il ne les cherche pas bien loin. L’an dernier, pour la question annuelle, j’avais préparé un chop-suey :  j’avais envie d’un restau chinois.

Tout compte fait je suis sotte de lui préférer sa soeur : elle, pour ses dix-huit ans avait exigé le permis !

 

 

Petite histoire : Ce texte est le résultat d'un exercice proposé dans le forum d'écriture de Cocyclics (la Mare aux Nénuphars).  La consigne était : "Décrire un personnage masculin particulièrement niais en maximum 2000 caractères espaces comprises "

 

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13 avril 2008 7 13 /04 /avril /2008 06:30
Vive les mariées !

Dominique Guérin


Je suis vieux.

Mais il ne se passe pas deux jours sans que je traîne mon pliant jusqu’au cagibi du couloir. L’exercice me dérouille les genoux. Tourner la clé me désengourdit les doigts. Ouvrir la porte me fouette le sang. Je me pose le fessier sur la toile tendue et j’enclenche la remontée du temps. Je rajeunis au fur à mesure que mes yeux escaladent les étagères. Il est rare que je sois seul. J’ai un fidèle public d’octogénaires mal dégrossis : des hippopotames dans mon expo de faïence.

- peuh ! grince Michel, t’aurais dû v’nir à Munich avec nous z’autres. T’en s’rais pas r’venu.

Excursionner avec notre Club du 3ème âge ? Non merci. Je supporte pas ce groupe d’ulcéreux ulcérés… Ahanements et récriminations : très peu pour moi. Pourtant le musée du Pot de Chambre aurait sans doute mérité que je fasse une exception. Tant pis, j’avais qu’à lire le programme.

Droit dans ses croquenots Michel m’asticote, l’embonpoint dominateur. L’excès de bière lui a poiré le bide. Il cligne de l’œil. Un tic chiant car je sais jamais si c’est du lard ou du cochon.

- T’rends compte, y’en a même un avec la tronche d’Hitler au fond.

Michel a raison, j’ai l’air de quoi avec mes cinq bourdalous vierges maintenant que la bande a pu admirer les pièces rares en porcelaine peinte du ZAM ?

Voici ma modeste collection détrônée par deux mille vases de nuit décoratifs.

- Juju Sagnol en sortant d’là il a pissé sur un lampadaire pour rigoler. Tiennard nous a tous engueulés. Paraît qu’les teutons z’aiment pas les blagues à la française.

J’admire Tiennard. Trimballer cette bande de péquenots à travers l’Europe est une gageure, pas une sinécure. Mais il récidive chaque année. J’vais pas le plaindre non plus. Grâce à cette corvée culturelle, il voyage gratis.

- J’suis pas d’humeur Michel. Je t’raconte ou tu décampes. L’musée d’là-bas il est pour tout le monde et n’importe qui. Ici, y’a que les pots de chambre de nos mariées. Tiens, la Martine. T’as dansé à sa noce. Ses cheveux flambaient. Electriques qu’y z’étaient. T’en pinçais pour elle.

Mon pliant est à portée de pots. J’en saisis un. Blanc avec une anse ronde. Michel se tait. Sa pomme d’Adam bouchonne entre deux plis du cou. Je lui raconte Martine. Sa préférée.

Mais elles sont là toutes les cinq : les filles de 1924.

Etiennette la douce aux mains calleuses. Claudine si joyeuse que la vie aurait dû lui sourire. Hélène qui rêvait de la ville mais avait épousé Bernard. Martine belle à croquer pour nous, les gars de 1924… Croquée par Jean, un fermier plus âgé, et assignée aux pis laiteux, queues en tire-bouchon et autres plumes d’oie. Michel renifle, son œil cligne et cligne.

Je ne m’écoute pas raconter. Mon regard est rivé sur le pot du haut. Moins nu que les autres à cause du sparadrap qui le rafistole depuis le jour où il a chu de mes mains tremblantes. Le pot de chambre de Léoncia. Dans lequel j’ai bu le vin blanc mélangé au chocolat fondu des petits déjeuners nuptiaux, il y a quelque soixante ans déjà. Hier !

Les filles de 1924 ont fait mentir les statistiques : même Jean est encore de ce monde. Tandis qu’elles… J’ai obtenu leurs reliques mariales en m’improvisant conteur. Maris et amoureux en redemandent.

Mais le bourdalou de Léoncia a toujours été mien.

Je n’en parle jamais à haute voix : je lui parle avec mon cœur.

 

 

 

Petite histoire : Il y a quelques jours, j'ai branché "Potatam", un texte provenant d'un jeu d'écriture du forum A vos plumes ! .  Daniel Fattore, ayant joué lui aussi,  a rebondi en publiant  sur son blog "Quand les pots de chambre auront des dents". Et voilà, que Dominique Guérin autre laronne de ce jeu, est venue nous faire un petit coucou. Je n'ai pas pu résister, je lui ai demandé l'autorisation de publier son "Vive les mariées !" .  Merci Dominique !


Rappel : la consigne était : écrire un texte de 3000 signes (1 page) contenant les mots : "hippopotame", "sparadrap", "pot de chambre", "lampadaire", "plume d'oie", "embonpoint" et "gageure".

 

 



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