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  • : Le blog de l'Antre-Lire
  • : 'zine littéraire - Lecture (sur le web)- Ecriture - Auteurs et textes en tout genre et pour tout genre (humains, enfants, poètes, loups, babouks...)
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22 mars 2009 7 22 /03 /mars /2009 10:27
Le blog de l’Antre-Lire est dédié à lecture sur le web ; cependant certains des auteurs qui participent, publient aussi sur des supports papier. Comme l’Antre-lire est aussi dédié à la promotion de ses habitants, j’inaugure aujourd’hui, une nouvelle catégorie :  une fois n’est pas coutume
Non, le ‘zine ne vous tiendra pas au courant de toutes les publications « papiers » de ses auteurs - ce serait trop de travail et cela envahirait nos pages ;-) -, mais une fois de temps en temps, pour une sortie plus « émouvante » que d’autres, vous aurez droit à un petit coup de pub.
*************


L’édition « émouvante » du jour est celle des premiers Périples mythologiques des éditions Argemmios.
Vous comprendrez cette émotion, si je vous dis que :
- je suis l’un des 18 auteurs (comment ça, vous l’aviez vu venir gros comme une maison  ? ;-))
- que c’est la première fois que je touche des droits d’auteurs pour une nouvelle (je vais avoir de quoi aller deux fois au restaurant. ;-) )
- Anthony Boulanger est, lui aussi, un des 18 auteurs (ah, ah, vous ne l’aviez pas vu venir cet immeuble-là, n’est-ce pas ? ;-))
- qu’Anthony et moi admirons beaucoup l’écrivain Nathalie Dau, et, désormais, l’éditrice Nathalie Dau, car c’est elle qui a fondé et dirige les jeunes éditions Argemmios.

Voici donc Les Héritiers d’Homère, l’anthologie d’Argemmios sur le thème de la mythologie grecque.


Format : 14 x 20 cm
362 pages - 424 gr.
Couverture couleur : Mathieu Coudray
ISBN : 978-2-9530239-3-0
Prix public : 22 euros

Une souscription via le site d’Argemmios est ouverte jusqu’au 10 avril à minuit.
Par la suite, vous pourrez acheter le livre à la boutique en ligne d’Argemmios, la FNAC ou son site, et d’autres librairies (encore une fois, cf le site des éditions).

Pour terminer et puisque tout de même, ici, c’est un blogzine qui propose de la lecture, voici le début de la nouvelle d’Anthony, suivi du début de la mienne.




La descente aux Enfers d'Orphée et Eurydice

Anthony Boulanger


La musique emplissait la pièce depuis des heures, maintenant. Elle avait d’abord été esquissée telle une mélodie riche de larmes, mais les pleurs des saules peints sur les murs, et l’apparition de nuages de tempête au plafond, avaient vite transformé la chambre en une place lugubre.

Quelque peu honteux de ce qu’il avait provoqué, le musicien avait alors décidé de changer de registre. Depuis, ses doigts, courant avec agilité sur le manche du violon, maniant avec brio l’archet, tiraient de l’instrument un crescendo de notes guillerettes.

Perché sur son tabouret, le jeune homme contemplait, le coeur extasié, la magie qu’accomplissait son jeu. Les murs se teintaient d’une lumière dorée, les feuilles des arbres réapparaissaient, blanches tout d’abord, puis reverdissant à vue d’oeil. Un faune se forma soudain sur le mur et accompagna le violoniste en soufflant dans la flûte du dieu Pan. L’artiste descendit de son perchoir et, mi-dansant, mi-sautant, explosa de rire en continuant de jouer.

Un claquement de porte rompit l’enchantement. Surpris par ce bruit métallique, le jeune homme leva son archet et les murs de la chambre redevinrent ce qu’ils avaient toujours été : de simples pans de béton gris et rugueux, des cloisons bâties à la hâte et formant un carré approximatif muni d’une ouverture grossière ; une chambre sale, dont un coin était occupé par une paillasse grouillant de vermine.

Il se précipita hors de la pièce et déboucha dans la suivante – un salon. La lumière blafarde du soleil s’y déversait à travers un vaste trou dans le mur, témoin d’un effondrement récent. La pâle lueur suffit à éblouir le musicien, si bien qu’il ne reconnut pas immédiatement l’intruse, et ne ressentit que la morsure glacée des courants d’air charriant l’odeur putride de la cité.

Après s’être frotté les yeux, il put enfin détailler l’arrivante. Elle avait la peau verte – la couleur des feuilles dans la pénombre –, veinée de brun comme le tronc fort et sage d’un chêne. Le mélange contrastait de façon saisissante avec ses yeux dorés. S’approchant d’elle, le violoniste passa la main dans des cheveux semblables à de fins et jeunes rameaux.

« Eurydice, ma dryade, mon aimée… murmura-t-il.

— Tu n’aurais pas l’impression d’avoir oublié quelque chose, Orphée ? » demanda-t-elle, sa voix vibrant de colère.

Le jeune homme recula d’un pas. Un pli soucieux barrait son front. Si sa nymphe des chênes était dans cet état, c’est qu’il avait réellement dû dépasser les limites. Mais quel jour était-on donc ? Il fouilla quelques secondes dans sa mémoire. Il devait aller voir sa mère Calliope, en compagnie d’Eurydice. Il fallait qu’il passe récupérer sa lyre chez le luthier, aussi. Non, ce ne pouvait être l’une de ces deux obligations : la dryade ne serait pas en colère pour si peu. Et sûrement pas pour sa lyre…

« Bon sang, Orphée ! On devait aller à l’hosto pour vérifier si j’étais enceinte ou pas ! En partant ce matin, je t’avais bien dit de ne pas oublier, que c’était important pour moi et que ça devait l’être tout autant pour toi ! Mais non, laisse-moi deviner… Tu t’es enfermé dans ta chambre et tu as joué de ton violon toute la journée ? Bien sûr que c’est ça, comme d’habitude ! »

Orphée resta sans voix, les yeux baissés, comme hypnotisé par une tache d’humidité souillant le sol. Il voulait compatir, il voulait s’excuser, mais, en ce moment même, les Muses lui inspiraient un prélude de symphonie. Il devait absolument le fixer dans sa mémoire avant qu’il ne lui échappe !



(la suite dans l'anthologie Les Héritiers d’Homère)





La caverne des centaures mâles

Marie-Catherine Daniel


Aujourd’hui, je me suis coupé les ongles. Longs et mous, ils se fendillaient sans casser lorsque je les heurtais quelque part. Sensation désagréable d’avoir les extrémités empesées de glaise. Alors j’ai pris un couteau et j’ai taillé dans la corne. Les copeaux en demi-lune étaient blanchâtres et s’effeuillaient. J’ai pensé à la lèpre, imaginé que le mal me rongeait, et voulu l’extirper entièrement. La peur de souffrir a arrêté ma lame avant qu’elle n’atteigne la chair. C’est pourquoi ce soir, j’ai encore des sabots.

Phaésas et les autres ne vont pas tarder à rentrer. Je me demande si mon mentor va s’apercevoir de mon massacre. L’holocauste que j’en ai fait a été refusé. La fumée de cèdre s’est bien envolée en plein centre du cercle de stalactites qui honore la cheminée des sacrifices, mais l’odeur de mes ongles calcinés perdure. Le relent écoeurant enveloppe mon corps, stagne dans mes poumons. Je voulais alléger mes jambes, je me suis totalement enlisé.

Je ne pense pas que Phaésas s’en aperçoive. Il ouvrira les trois tentures de nos trois salles pour que la puanteur s’évacue et se fonde dans l’immensité des grottes. Il vérifiera que je ne me suis pas blessé. Il remarquera la sauvagerie de mon rabotage, croira à de la maladresse. Puis il dira :

« Tanghis, tu files un mauvais coton à rester sans rien faire. Tu ne devrais pas avoir à te couper les ongles. Les sabots doivent s’user tout seuls. Va donc te les durcir sur le sable du lac des Ombres. En t’occupant des enfants, par exemple. »

Oui, il dira « t’occuper des enfants » et pas « jouer avec les enfants ». Mon mentor est plein de compréhension. À moins que, ayant désormais une demi-tête de moins que moi, il n’arrive plus à me considérer tout à fait comme un gamin.

Pourtant, j’en suis un. Même si je suis né le même printemps que Phaésas. Même si lui est adulte depuis bientôt un lustre. Je suis un enfant parce que je ne connais que la Caverne, parce que j’ai besoin d’un mentor pour me dire ce qui est bien et mal, et pour m’apporter les fruits et les herbages tendres dont mon corps se nourrit. Pour ne plus être un enfant, il suffirait que j’aille les chercher moi-même, que je sorte au soleil.

Seulement, j’ai peur de sortir.




Je ne me souviens pas de ma mère. Je sais que j’ai tété ses mamelles et ses seins, que ceux-ci étaient fermes et doux comme des oranges. Je ne me souviens pas du soleil et des arbres. Pourtant j’ai connu leurs lumières et leurs feuillages pendant près d’une année. Et je suis devenu un petit centaure mâle robuste et plein d’allant. Ensuite, bien sûr, l’appel du rut a de nouveau embrasé ma mère. L’instinct sexuel a pris le pas sur l’instinct maternel, mais elle a su juguler ses pulsions le temps de retrouver mon père et de me confier à lui.

Mon histoire commence donc comme celle de tous les garçonnets assez aimés par leurs parents pour avoir survécu au sevrage et rejoint le ventre de la Caverne. Alors pourquoi ? Pourquoi ne puis-je répondre à l’appel du soleil ? La peur ? Tous les jeunes mâles ont peur de sortir, la première fois. Mais tous savent que les dangers du dehors sont bien moins grands que lorsqu’on est petit. Tous rêvent à la félicité de la rencontre avec un centaure femelle. Tous s’élancent dans la lumière du jour bien avant d’avoir atteint leur taille finale. Sauf moi. Pourquoi ?




Je les entends qui rentrent. La cavalcade emplit les couloirs. D’ici, on dirait qu’ils galopent, tant le grondement est impressionnant.



(la suite dans l'anthologie Les Héritiers d’Homère)





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