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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 09:10
Tête de turc

Joëlle Brethes



C'est avec un sourire de triomphe que le petit homme bedonnant prit en premier le tournant qui débouchait sur la longue ligne droite conduisant aux guérites de la police. Il s'était jusqu'à présent très bien débrouillé. Il avait prétexté un malaise pour pouvoir quitter l'avion parmi les premiers passagers, il avait bousculé quelques silhouettes, écrasé quelques pieds, mais le résultat était là : il serait cette fois à temps !...

Une douleur fulgurante lui traversa tout à coup l'abdomen l'obligeant à s'arrêter quelques instants puis à adopter une allure plus conforme à ses cinquante sept ans. Il dut aussi se résoudre à se laisser dépasser par ceux-là même qu'il avait assez grossièrement doublés quelques secondes plus tôt et qui, au passage, le gratifièrent de regards peu amènes colorés d'ironie ou de dédain... Le petit homme jeta un coup d'œil en arrière et constata que le gros de la troupe des voyageurs n'était plus très loin. Il respira un bon coup et s'élança courageusement en avant malgré la douleur de ce point de côté qui ne voulait pas le lâcher. Le policier qui le vit s'installer dans sa file le détesta instantanément. Tout en faisant subir à un premier passeport l'épreuve de son vérificateur laser, il examinait discrètement cet individu anormalement impatient et sur le visage duquel alternaient une jubilation sans objet apparent et une curieuse crainte que rien ne semblait justifier... Il expédia peu consciencieusement le célibataire puis le couple âgé précédant sa future victime à qui il fit signe de s'avancer.

Le petit homme bedonnant se passa un kleenex sur le front avant de s'emparer de son sac de voyage pour se ruer joyeusement vers la guérite.

- Ca fait plaisir de rentrer au pays, fit-il aimablement en tendant son passeport au fonctionnaire.

Celui-ci se contenta de lui jeter un regard neutre tout en faisant signe à un collègue de le remplacer tandis qu'il s'installait à la guérite jumelle qui était inoccupée. Le petit homme blêmit et eut un regard de désespoir qui fit naître un vilain sourire sur les lèvres du fonctionnaire. Puis ce dernier glissa le passeport du voyageur dans le vérificateur laser et, le ressortant avec sévérité, il commença à en feuilleter les pages plastifiées incrustées de rondelles magnétiques.

- C'est quoi, exactement, votre nom ? attaqua-t-il en plissant les yeux sur une page.

- Valadinogigolopinsky...

- Pardon ?

- Valadinogigolopinsky... Paul, Lucas, Marcel Valadinogigolopinsky.

- Ah !

Le fonctionnaire eut une moue insultante et pianota sur son ordinateur.

- Vous avez pris l'airbus du 5 août 2002 pour Marseille et vous y êtes resté trois jours... Puis départ pour Bruxelles le 8, pour Londres le 12, pour Los Angelès le 19, pour Toronto le 23, et retour aujourd'hui 26 août après annulation de votre vol pour Sidney... Pourquoi avez-vous interrompu votre circuit ?...

Paul eut un moment l'envie d'envoyer l'indiscret se faire faire des choses pas très orthodoxes ailleurs. Mais s'il se l'aliénait, l'autre se ferait un malin plaisir d'allonger son interrogatoire et il subirait un nouveau retard avec tous les désagréments que cela comportait. Il se maîtrisa donc et expliqua patiemment que des petits problèmes personnels l'avaient contraint à rentrer plus rapidement que prévu.

- Des "petits problèmes personnels", hein ! fit l'employé méchamment. Et il se remit à feuilleter le passeport.

Paul jeta un regard pitoyable sur les voyageurs qui, de part et d'autre de lui, avançaient, montraient leurs papiers et disparaissaient, les bienheureux ! dans le couloir menant aux tourniquets.

Il allait encore se faire avoir, comme en février précédent, c'était sûr !...

- Ca vient d'où, votre nom ?

Paul sursauta et se cabra. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, à cet employé tatillon et antipathique. Mais de nouveau il s'exhorta au calme. Il énonça humblement ses origines et reconnut bien volontiers sa naturalisation. De toute façon, il était 100 % européen, bien sûr, et français depuis plus de 25 ans.

- Je vois, fit le fonctionnaire en louchant sur le teint olivâtre de sa victime et en reprenant son exploration dans le passeport dont il commençait à connaître par cœur le contenu. Et qu'est-ce que vous avez fait pendant ces trois semaines hors du territoire ?...

Encore une question indiscrète qui empourpra les joues du petit homme et lui mit un éclair meurtrier dans les yeux... Il jeta un regard excédé autour de lui mais ne trouva personne à prendre pour témoin de son exaspération grandissante. Les guérites étaient désertes depuis quelques dizaines de secondes et lui, en tête à tête avec cet escogriffe glabre et blême dans cet odieux uniforme qui lui conférait tous les droits...

Un nouveau flot de passagers à dominante asiatique ne tarda pas à s'agglutiner dans son dos...

Pas de doute : quand il arriverait aux tourniquets des bagages, ce serait, de nouveau, pour y constater la catastrophe...

- Ce que j'ai fait pendant trois semaines ? cracha-t-il soudain au visage du fonctionnaire ahuri : des conférences, Monsieur ! Parfaitement : des conférences !... Si vous aviez un minimum de culture vous sauriez que nous fêtons cette année le bicentenaire de la naissance du grand Victor Hugo, et si vous aviez réellement lu mon passeport vous y auriez vu que je suis enseignant et conférencier : peut-être alors en auriez-vous tiré certaines déductions...

Fortement vexé, le policier cacha sa contrariété sous un sourcil dubitatif qui mettait en doute la parole de l'enseignant. Puis, négligeant la main impatiente qui se tendait vers le document, il décida de le soumettre à un nouveau passage au vérificateur laser assorti d'un nouveau pianotage sur son ordinateur.

- C'est parfait, conclut-il avec froideur en retirant le passeport de l'appareil et en le faisant enfin glisser vers Paul. Vous voyez bien qu'il était inutile de vous énerver, Monsieur... Monsieur...

- Valadinogigolopinsky ! fit sèchement Paul en saisissant avec avidité le petit carnet plastifié.

Puis il se rua vers le hall des bagages. Peut-être, après tout, était-il encore temps pour lui de récupérer la valise contenant les précieux documents sur son auteur préféré. On lui avait interdit, à l'enregistrement canadien, de conserver en cabine les lourds dossiers et il avait dû, à contrecœur, les ranger dans ses bagages... II avait déjà dans des conditions analogues perdu d'importantes notes sur Maupassant et, plus tard, sur Rimbaud... Au diable les nouvelles mesures appliquées dans ce maudit aéroport de Roissy depuis quelques années. Qu'est-ce qu'un aéroport où on ne peut plus flâner et où on ne dispose que d'une demi-heure pour récupérer ses affaires !

Une fois dans le fameux hall, il se précipita vers le tourniquet au dessus duquel un cadran lumineux indiquait les coordonnées de son avion. Quelques valises roulaient lentement vers lui et quelques voyageurs souriants.

II soupirait, apaisé, quand une série de déclics bouleversa les coordonnées du cadran et balaya ses illusions. C'est alors qu'il reconnut dans ces quelques passagers qu'il croyait retardataires comme lui, l'avant garde asiatique qui avait assisté à ses derniers démêlés avec le fonctionnaire de la guérite...

Trop tard ! Il était arrivé trop tard comme les autres fois !... Il eut un moment l'envie de quitter ce lieu maudit sans passer par le guichet obligatoire... Mais à quoi bon se faire infliger une amende supplémentaire ?

Une grande lassitude l'envahit tandis qu'il se dirigeait tristement vers le stand des "Bagages non réclamés/ Compactage". Il tendit son ticket à l'employé de service. Celui-ci lui fit un petit signe compatissant avant de disparaître derrière une grande porte coulissante en verre dépoli. Il en revint peu après, poussant sur un chariot un petit cube d'une vingtaine de centimètres de côté qu'il eut beaucoup de mal à transférer sur le comptoir.

- Qu'est-ce que vous aviez dans votre valise ? fit le jeune employé essoufflé par l'effort. C'est rudement lourd ! Ca va pas être facile à transporter. Vous voulez peut-être que je dédensifie ?

- A 90 %, s'il vous plait ! s'impatienta Paul.

- C'est le maximum, fit remarquer l'employé. Vous connaissez les tarifs ?

Et sur un signe affirmatif de Paul excédé, il disparut de nouveau derrière la vitre dépolie avec le petit cube sur le grand chariot.

Il y eut un curieux vrombissement... Paul fit un chèque, rangea le petit cube dans son sac de voyage, et sortit héler un taxi...

 

Une demi heure après, il déposait ce triste trophée auprès de quatre autres sur une étagère de sa bibliothèque...

 

 

 

 

En savoir plus...  : 

Tête de turc a été publiée dans la revue Casse n°19-20 (octobre 2006).

La fiche auteur de Joëlle  se trouve :  ici

 

 

 


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4 novembre 2009 3 04 /11 /novembre /2009 07:34
Le soleil raconte
Hans Christian Andersen


Maintenant, c'est moi qui raconte ! dit le vent.

- Non, si vous permettez, protesta la pluie, c'est mon tour à présent ! Cela fait des heures que vous êtes posté au coin de la rue en train de souffler de votre mieux.

- Quelle ingratitude ! soupira le vent. En votre honneur, je retourne les parapluies, j'en casse même plusieurs et vous me brusquez ainsi !

- C'est moi qui raconte, dit le rayon de soleil. Il s'exprima si fougueusement et en même temps avec tant de noblesse que le vent se coucha et cessa de mugir et de grogner ; la pluie le secoua en rouspétant : «Est-ce que nous devons nous laisser faire ! Il nous suit tout le temps. Nous n'allons tout de même pas l'écouter. Cela n'en vaut pas la peine.» Mais le rayon de soleil raconta : Un cygne volait au-dessus de la mer immense et chacune de ses plumes brillait comme de l'or. Une plume tomba sur un grand navire marchand qui voguait toutes voiles dehors. La plume se posa sur les cheveux bouclés d'un jeune homme qui surveillait la marchandise ; on l'appelait supercargo. La plume de l'oiseau de la fortune toucha son front, se transforma dans sa main en plume à écrire, et le jeune homme devint bientôt un commerçant riche qui pouvait se permettre d'acheter des éperons d'or et échanger un tonneau d'or contre un blason de noblesse. Je le sais parce que je l'éclairais, ajouta le rayon de soleil. Le cygne survola un pré vert. Un petit berger de sept ans venait juste de se coucher à l'ombre d'un vieil arbre. Le cygne embrassa une des feuilles de l'arbre, laquelle se détacha et tomba dans la paume de la main du garçon. Et la feuille se multiplia en trois, dix feuilles, puis en tout un livre. Ce livre apprit au garçon les miracles de la nature, sa langue maternelle, la foi et le savoir. Le soir, il reposait sa tête sur lui pour ne pas oublier ce qu'il y avait lu, et le livre l'amena jusqu'aux bancs de l'école et à la table du grand savoir. J'ai lu son nom parmi les noms des savants, affirma le soleil. Le cygne descendit dans la forêt calme et se reposa sur les lacs sombres et silencieux, parmi les nénuphars et les pommiers sauvages qui les bordent, là où nichent les coucous et les pigeons sauvages. Une pauvre femme ramassait des ramilles dans la forêt et comme elle les ramenait à la maison sur son dos en tenant son petit enfant dans ses bras, elle aperçut un cygne d'or, le cygne de la fortune, s'élever des roseaux près de la rive. Mais qu'est-ce qui brillait là ? Un oeuf d'or.

La femme le pressa contre sa poitrine et l'oeuf resta chaud, il y avait sans doute de la vie à l'intérieur ; oui, on sentait des coups légers. La femme les perçut mais pensa qu'il s'agissait des battements de son propre coeur. À la maison, dans sa misérable et unique pièce, elle posa l'oeuf sur la table.» Tic, tac» entendit-on à l'intérieur. Lorsque l'oeuf se fendilla, la tête d'un petit cygne comme emplumé d'or pur en sortit. Il avait quatre anneaux autour du cou et comme la pauvre femme avait quatre fils, trois à la maison et le quatrième qui était avec elle dans la forêt, elle comprit que ces anneaux étaient destinés à ses enfants. À cet instant le petit oiseau d'or s'envola. La femme embrassa les anneaux, puis chaque enfant embrassa le sien ; elle appliqua chaque anneau contre son coeur et le leur mit au doigt. Un des garçons prit une motte de terre dans sa main et la fit tourner entre ses doigts jusqu'à ce qu'il en sortît la statue de Jason portant la toison d'or. Le deuxième garçon courut sur le pré où s'épanouissaient des fleurs de toutes les couleurs. Il en cueillit une pleine poignée et les pressa très fort. Puis il trempa son anneau dans le jus. Il sentit un fourmillement dans ses pensées et dans sa main. Un an et un jour après, dans la grande ville, on parlait d'un grand peintre. Le troisième des garçons mit l'anneau dans sa bouche où elle résonna et fit retentir un écho du fond du coeur. Des sentiments et des pensées s'élevèrent en sons, comme des cygnes qui volent, puis plongèrent comme des cygnes dans la mer profonde, la mer profonde de la pensée. Le garçon devint le maître des sons et chaque pays au monde peut dire à présent : oui, il m'appartient. Le quatrième, le plus petit, était le souffre-douleur de la famille. Les gens se moquaient de lui, disaient qu'il avait la pépie et qu'à la maison on devrait lui donner du beurre et du poivre comme aux poulets malades ; il y avait tant de poison dans leurs paroles. Mais moi, je lui ai donné un baiser qui valait dix baisers humains. Le garçon devint un poète, la vie lui donna des coups et des baisers, mais il avait l'anneau du bonheur du cygne de la fortune. Ses pensées s'élevaient librement comme des papillons dorés, symboles de l'immortalité.

- Quel long récit ! bougonna le vent.

- Et si ennuyeux ! ajouta la pluie. Soufflez sur moi pour que je m'en remette. Et le vent souffla et le rayon de soleil raconta :

- Le cygne de la fortune vola au_dessus d'un golfe profond où des pêcheurs avaient tendu leurs filets. Le plus pauvre d'entre eux songeait à se marier, et aussi se maria-t-il bientôt. Le cygne lui apporta un morceau d'ambre. L'ambre a une force attractive et il attira dans sa maison la force du coeur humain. Tous dans la maison vécurent heureux dans de modestes conditions. Leur vie fut éclairée par le soleil.

 - Cela suffit maintenant, dit le vent. Le soleil raconte depuis bien longtemps. Je me suis ennuyé ! Et nous, qui avons écouté le récit du rayon de soleil, que dirons-nous ? Nous dirons : «Le rayon de soleil a fini de raconter».

 

 

En savoir plus... : 

Pour une présentation d'Hans Christian Andersen (1805-1875), vous pouvez,  par exemple, aller voir  ICI.

Et pour d'autres textes en ligne de l'auteur, il y a   In Libro Veritas .

 

 


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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 00:00

Les migrateurs


Isabelle Makowka



Partie 2

LES FUYARDS


L'impact la réveilla. Autrefois, elle ne s’endormait jamais en voiture, trop stressée par le flux des véhicules, l’inconscience des autres conducteurs. Mais là, aujourd’hui, le soleil tapant sur le carreau et l’immense lassitude avaient eu raison de ses petites angoisses.

Bref, le choc sur le pare-brise la fit sursauter ; à cette vitesse, l'oiseau s'était littéralement écrasé sur la vitre. Dans un réflexe, son mari fit fonctionner les essuie-glaces, elle eut un haut-le-cœur.

En détournant les yeux vers l'extérieur pour échapper à la vue sanguinolente, elle fut sidérée par le nombre de dépouilles de volatiles qui gisaient sur le sol. Curieusement, à ce moment là, c'est le fait qu'il y en ait aussi sur la chaussée – une autoroute – qui l'étonna. Elle imaginait sans doute les services d'entretien contraints à des obligations de toute évidence impossibles à respecter. Enfin, c’était déjà bien beau qu’il y ait encore des routes.

Devant le spectacle, elle retint malgré elle sa respiration, réalisant soudain la saturation certaine de l'air extérieur en germes mortels. Putain de grippe.

La grippe aviaire… on en avait beaucoup parlé il y a dix ans, mis en garde les populations. Tout comme les alertes météo, à force d’en faire toutes les semaines, plus personne n’en tient compte.

— Ça va ? La voix de Nils la fit tressaillir une fois de plus, mais sa main douce se posa sur sa cuisse. Elle lui serra les doigts avec tendresse et lui sourit d’un air triste.

— Je m’étais endormie…Tu as vu ça ? lui demanda-t-elle en désignant l’extérieur d’un mouvement de tête. C’est infect.

— C’est comme ça depuis des kilomètres.

— On est où, ici ?

— Quelque part en dessous d’Orange. J’en sais rien, je ne reconnais plus rien et il manque la moitié des panneaux. Le bon côté des choses, c’est qu’on est les seuls cinglés à circuler encore sur la route. À part quelques camions…

— Ça a été vite, hein, tout ce bordel ? Tu te souviens quand on était gamins comme c’était joli dans le Sud ? J’adorais les lavandes. On était venu une fois avec mes parents en vacances au début de l’été dans un coin où il y en avait des champs entiers. Je rêvais de pouvoir un jour en ramasser des brassées, j’imaginais qu’il n’y aurait pas de plus beau métier que d’être lavandière…

Les larmes lui montèrent aux yeux, mais pas à cause d’une enfance ou des lavandes disparues : l’évocation de sa famille décimée la replongea dans ses pensées noires et silencieuses.

Tout avait été si rapide… Moins de quinze ans auparavant, des mises en gardes sérieuses sur le réchauffement climatique, sur le danger des émissions de gaz à effet de serre avaient émané de nombreuses sources scientifiques et écologiques. Les estimations les plus pessimistes étaient en fait bien plus indulgentes que la réalité. Les gouvernements n’avaient pas eu le cran d’interdire ce qui était nuisible comme les emballages, les voitures individuelles, les chauffages divers, les industries polluantes. Marta était certaine qu’il aurait été possible de se débrouiller sans, qu’on aurait pu s’adapter mieux que maintenant. Avec Nils, elle faisait partie de ces gens qui avaient hurlé dans les rues et sur les ondes qu’il était temps de vivre avec la nature et non contre elle, ni à ses dépens. Hélas, comme toujours, seul le fric avait compté, et la Terre épuisée s’était rebiffée.

Loin de s’alarmer outre mesure, les populations des pays riches en zone tempérée avaient plutôt apprécié le début du changement de climat: l’hiver si doux, presque chaud, de plus en plus chaud. A Lyon, c’était comme aux Antilles ou en Californie... Avec la pluie, sur le revers de la médaille. La chaleur et la pluie. Une des conséquences immédiates et inévitable de ce genre de contexte météorologique avait été la prolifération de microbes et de virus. Et, alors qu’on l’avait quasiment oublié, le H5N1 avait refait surface : pas son vague cousin de la grippe porcine somme toute inoffensive, non. Le vrai, terriblement létal. Muté, en pleine forme. Marta n’avait qu’à regarder par la fenêtre de la voiture. C’était immonde. Elle fut prise de panique à l’idée des risques insensés qu’ils prenaient ainsi à voyager ainsi par la route.

 

Un autre événement stupéfiant était à l’origine du désastre : alors qu’on pouvait se demander ce qu’il était encore possible d’inventer de révolutionnaire au-delà de la voiture, du téléphone portable, d’Internet, des écrans plats ou des navettes spatiales, un type avait découvert le principe de la téléportation. Oui, se déplacer en un instant d’un endroit à un autre, comme dans les vieux livres de science-fiction. Cela avait été incroyable. Simple, sans coût, rapide : tout y était pour séduire. Il n’avait fallu que quelques semaines pour que le monde entier s’y essaye, après une courte période d’incrédulité légitime. L’aspect génial de cette invention résidait dans sa simplicité : elle ne nécessitait aucun matériel, à part si on le désirait des instruments pour préciser certaines coordonnées géographiques. Tout comme en accommodant sa vision d’une certaine façon on peut voir émerger une image en relief d’une autre image sans rapport, il suffisait de réfléchir autrement. Il fallait juste apprendre à se détacher de la réalité. La physique et la philosophie unifiées. C’était fabuleux.

C’était devenu un cauchemar. Grâce à la téléportation, les foules s’étaient déplacées. Avec frénésie. Les gens du sud vers le nord, ceux du nord vers l’ouest, les uns chez les autres, pour faire des courses, pour espionner, pour vendre, acheter. On allait chez quelqu’un qui était ailleurs, et les choses étaient très vite devenues invivables et compliquées. L’urgente nécessité de s’organiser au niveau mondial s’était imposée comme toujours avec beaucoup de retard.

Et pendant ce temps la Terre avait continué à se dérégler. Les premiers touchés par la grippe avaient été les oiseaux, comme prévu, par millions. Ce qui avait dans un court laps de temps entraîné des proliférations d’insectes en tout genre qui n’étaient plus dévorés. Parallèlement, la végétation s’était trouvée modifiée Dans les régions jadis tempérées, de nombreuses espèces de plantes avaient besoin d’une période de froid pour pouvoir germer ou fleurir au printemps ; ce contraste les informait du changement de saison. Toutes ces variétés disparurent. Il était probable qu’un jour ou l’autre une sorte de jungle aller s’installer, mais à ce moment-là, les paysages naturels étaient bouleversés et méconnaissables.

— Tu penses qu’il y a combien de morts ? reprit Marta

— J’en sais rien…des millions c’est sûr. Je ne sais même plus combien on était avant, pour tout te dire. Et j’ai pas envie d’écouter la radio pour le moment. J’imagine qu’ils vont nous dire que le virus de la grippe a encore trouvé une façon de muter et que les nouveaux vaccins sont déjà devenus obsolètes. Et ces gens qui vont partout, à toute vitesse comme s’ils voulaient à tout prix répandre cette pourriture aux quatre coins de la planète.

— C’est déjà le cas, tu ne crois pas ?

— Putain de téléportation ! La « Voie des Anges », tu parles, direct vers l’enfer, oui !

Elle lui posa à son tour la main sur le cou, pour lui caresser la nuque. Elle aussi avait eu ses moments de panique et comprenait ce qu’il ressentait. À cet instant, elle doutait de leur choix. Elle n’avait pas réussit à expliquer clairement à sa belle-sœur la raison de leur voyage désespéré par la route : cela semblait si ridicule maintenant, si dangereux… Pourtant, ils souhaitaient voir à quoi ressemblait leur pays, désiraient prendre le temps d’un dernier voyage et Nils ne voulait plus entendre parler de téléportation, quitte à consommer un peu d’éco-carburant. Leur voiture était chargée de souvenirs plus que de bagages et roulait vers l’Afrique, le désert. Le bateau à Marseille s’ils avaient de la chance, puis un coin d’erg stérile. Moins il y aurait de vie, moins il y aurait de risques. Cette Afrique si pauvre que tout le monde avait fuie serait peut-être la terre d’espoir de l’humanité. Ce serait un juste retour des choses.

 

 

FIN


 


 

En savoir plus ... : Bienvenue à Isabelle Makowka sur le blog de l'Antre-Lire !
Et bienvenue à elle dans le monde des nouvellistes car  Les migrateurs est le tout premier texte qu'elle a écrit.  Un talent étonnant, non ?

 

Sa fiche auteur : Isabelle Makowka

 

 

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 09:45

Les migrateurs


Isabelle Makowka



Partie 1

LE SAVANT

Évidemment, je suis réveillé. Il y a des mois que je rêve d’une grasse matinée, et là évidemment, je suis réveillé. Je me sens sourire malgré moi : l’excitation – sans doute responsable de ce réveil impromptu – me gagne subrepticement et se mêle à cet orgueilleux sentiment de satisfaction. Délicieux instant. Je profite de la douce caresse des draps sur ma peau, mais l’envie de jouir d’un tel moment va dans peu de temps m’expulser du lit, je le sens ! Ahhh, divine sensation procurée par une utopie devenue réalité.

Première franche journée de vacances, mazette ! Je n’y croyais plus. Je commençais à ne plus pouvoir supporter toutes ces difficultés pour déposer un brevet. Dès lors qu’il s’agit d’un domaine qui sort de l’ordinaire et du tangible, tout devient compliqué. Bien entendu, si je n’avais pas autant redouté de me faire piquer mon idée, je n’aurais peut-être pas été obligé d’aller aussi souvent déposer des appellations, des principes suffisamment vagues pour ne pas être plagiés, mais assez précis pour m’en garantir la propriété… Stop ! Si je commence à ruminer de la sorte, ce bon moment risque d’être gâché… Le comble, tout de même, c’est d’avoir été contraint de déposer ce nom ridicule que lui ont donné mes collègues, au cas où ce soit celui qui émerge. Où ont-ils vu des anges ? C’est idiot.

Du coup, je me lève. Punaise, ce que je suis content ! Je me demande si je vais planer comme un bienheureux toute la journée. Je n’ai pas envie que ça s’arrête.

Le Prix Nobel, peut-être ? On peut rêver, mais j’ai du mal à y croire, parce que ce n’est quand même pas le genre de d’invention qui rentre tout à fait dans une catégorie du Nobel ordinaire, et je me demande qui peut décider de créer un nouveau domaine « nobélisable » – la physique cognitive, peut-être ? – juste pour moi, en plus.

Pour fêter ça, allez, j’ai le temps, je m’autorise un vrai café. Un bol, même. Le lyophilisé restera au placard, maintenant. Tiens, poubelle ! J’hésite à débrancher le téléphone… Partagé entre l’envie de rêver tout seul sur mon nuage, de ressasser mon impression de complétude, et le plaisir évident que j’aurai à recevoir les félicitations de tout le monde. Des propositions peut-être, même.

La complétude… Ouais, pas mal. Pas simple de décrire ce genre de sentiment.

 

Il y a au moins un quart d’heure que je m’amuse à faire coïncider ma petite cuillère avec les dessins de la nappe, sans penser à rien d’autre. J’ai une légère poussée d’adrénaline quand je m’en aperçois, c’est dingue. Je dois presque me forcer à me détendre, à m’habituer à vivre sans obsession en somme : quel vide!

Bon, comment s’habiller un jour pareil ? Confortable, c’est sûr, un peu classe, au cas où. J’imagine que je verrai du monde aujourd’hui. Ceci dit, des vêtements classe, je n’en ai pas des masses, à part les chaussures…

Je me demande si les gens vont croire ce que j’ai mis en évidence. Une telle découverte concerne tout le monde, mais je suis convaincu qu’elle va mettre un bout de temps à faire son chemin. Il me faudra me justifier des milliers de fois pour qu’ils l’admettent et qu’ils essayent, j’en suis certain.

Ces bottines, j’y suis tellement à l’aise que j’ai un peu l’impression de mettre des pantoufles. En plus, elles sont belles. Enfin, si ça se trouve, personne ne les admire autant que moi : je ne me souviens pas qu’on m’en ait fait des compliments.

J’ai beau être fier, je ressens toutefois une vague sensation de malaise. Trouver sans fournir beaucoup d’effort procure un sentiment de supériorité partagé : certes, on se sent meilleur, mais avec cet arrière goût de non mérité et la conviction que les autres n’ont sans doute pas donné toute leur mesure. Ceci étant, si le concept s’est laissé approcher sans trop de difficultés, son axiomatisation a représenté un sacré boulot ! Des jours, des nuits innombrables à réfléchir sans jamais baisser la garde. Ma force, à mon avis, c’est d’être capable d’une « pensée alternative » que j’ai toujours possédée. Une espèce de faculté à me détacher du présent, de la situation pour élaborer une solution originale. Je me souviens de ma surprise quand j’ai découvert cette façon de penser décrite dans un ouvrage. L’auteur donnait comme exemple celui d’une famille dont la petite fille ennuyait la grand-mère en train de tricoter en jouant avec ses pelotes. Le père suggérait alors de placer l’enfant dans son parc, quand la mère proposait plutôt d’y mettre la grand-mère qui n’avait pas besoin de beaucoup d’espace pour s’amuser. Les quatre triangles équilatéraux construits avec six allumettes procèdent du même mode de réflexion. Enfin, tout ça pour dire qu’il me semble que la « Voie des Anges », comme la nomment bêtement mes confrères, aurait pu être inventée depuis longtemps par beaucoup de monde. Il n’y a là rien de génial, mais les gens sont coincés, et leur pensée aussi.

Le journal doit être dans la boîte aux lettres, à cette heure-ci.

Il y est. Petite constriction au niveau de l’épigastre. Première confrontation de ma découverte et du public. J’ai tout fait pour ça : dans les reportages de la radio ou à la télévision, les journalistes coupent ou raccordent les phrases comme ils l’entendent, alors c’est moi qui ai contacté le quotidien avant que la rumeur ne s’ébruite. De plus, je connais depuis longtemps la fille qui a écrit l’article et j’ai bien insisté pour qu’elle transcrive avec application les données que je lui ai transmises, j’espère qu’elle aura respecté son engagement. Bon, ce qu’il faut c’est lire comme si j’étais quelqu’un qui n’y connaît rien. Est-ce que, si je le consulte plus tard, c’est mieux ? Attendre les commentaires et essayer de comprendre ensuite ce qui les a suscités. Par exemple, prendre un air blasé en disant « Ah bon ? Je n’ai pas encore lu l’article. » Ou être blindé, anticiper les réactions et avoir des arguments prêts ? De toute façon je n’ai pas assez de patience pour faire le blasé, alors…

Dernière marche en haut de l’escalier, sur le bois ensoleillé. J’adore ces rayons obliques du matin qui donnent en cette saison une chaleur blonde au parquet. D’ailleurs, ça me rappelle que Matisse ou Picasso ou un autre, mais je crois que c’était un peintre, avait posé des miroirs sur la face interne de ses volets, ce qui fait qu’en les ouvrant plus ou moins il inondait sa maison de soleil. J’ai toujours trouvé cette idée formidable.

Je me laisse glisser le long du mur pour m’asseoir sur le sol comme s’il m’était arrivé la dernière des catastrophes. N’importe quoi. Respire.

En fait, l’article n’est pas trop mal rédigé, et la journaliste s’est conformée à mes indications Cependant, je trouve curieux de me voir dans ce quotidien national. Je n’ai pas l’impression qu’on y parle vraiment de moi. Les stars, ça leur fait quoi, à force ? « Le transport sans pollution : un des problèmes majeurs de l’humanité sans doute résolu grâce à un esprit brillantissime» Le titre est mauvais, la photo est nulle. Au moins, grâce à ça, je suis sûr que personne ne viendra m’importuner dans la rue ! Méconnaissable. Même par moi. C’est moi, d’ailleurs ? Je reconnais mes pompes, en tout cas, les belles. Je les identifie sans difficulté, elles sont blanches. D’un côté, le voir écrit dans le journal semble irréel, mais en même temps, ça ancre tout ça dans la réalité : c’est indéniable, je l’ai fait. Moi. Et le public va bientôt le savoir, les autres médias ne vont pas tarder à prendre le relais. Tiens, je devrais recevoir aussi ma revue spécialisée, aujourd’hui.

Tout le monde, ça veut dire la terre entière. J’ai l’impression d’être un imposteur. Je ne me suis jamais pris pour un « esprit brillantissime », j’ai seulement réfléchi d’une autre manière. Et c’était simple : une conjoncture favorable, une sorte de révélation alors que je cherchais tout autre chose. Je me sens un peu mal à l’aise, mais par bonheur, ils n’en disent rien dans le journal.

Et si, ensuite, je n’étais pas à la hauteur de ma réputation ? Je m’imagine déjà à une conférence où on me poserait des questions auxquelles je serais incapable de répondre, ou même, une émission de télé, une interview… Les critiques acerbes si je débite des platitudes… Mon Dieu ! – est-ce, d’ailleurs, encore d’actualité ce type de juron ? Pourrai-je dire un jour que j’ai trouvé ce que je ne cherchais pas ?

 

(à suivre)

 

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5 septembre 2009 6 05 /09 /septembre /2009 07:45

Raoul et Lucette

André Samie


Oyez oyez, gentes dames et gentils damoiseaux, les tristes aventures du Raoul et de la Lucette !

Notre héros, le Raoul, était un rude paysan de nos campagnes, humble et laborieux, un caractère bourru dissimulant une âme généreuse et un cœur d’or. Ce cœur, justement, palpitait pour la Lucette. La Lucette était une vache. Mais pas n’importe quelle vache. Il s’agissait de la meilleure laitière du village de Glayou, voire du royaume entier. Du moins c’est ce que prétendait son heureux propriétaire, le brave Raoul. Il l’aimait d’un amour pur et intense, d’un amour bien au-delà de ce qu’un homme peut ressentir pour une femme. Surtout quand cette femme s’appelle Marcelle, qu’elle a de la moustache et le caractère d’un corniaud enragé, ce qui était le cas de l’épouse de notre fermier.

Ainsi, le Raoul, il la bichonnait sa Lucette. Il lui fournissait le meilleur foin du pays, lui prodiguait de tendres caresses, lui susurrait des mots doux à l’oreille. Cette idylle aurait pu durer jusqu’à la fin des temps mais le destin, à coup sûr jaloux d’une telle félicité, décida d’y mettre son grain de sel.

    Or donc, un tragique matin, le Raoul revenait des champignons, son panier bien rempli et le cœur empressé de rejoindre sa mie. Au sortir de la forêt, un bien triste spectacle le figea de consternation. Sous ses yeux éberlués, deux armées s’étripaient avec férocité sans ressentir la moindre compassion pour les cultures piétinées et les sillons dévastés. Au milieu de ce courtois carnage, la pauvre Lucette lançait des regards désespérés vers son Raoul. Las, il lui était impossible de se frayer un passage dans cette mêlée pour porter secours à sa belle. La poitrine saisie d’angoisse, il dut donc attendre que les combattants en finissent avec leurs belliqueuses civilités. Celles-ci virent, par chance, la soldatesque royale emporter la victoire… et la malheureuse Lucette. Ni une ni deux, notre valeureux paysan se porta au devant des ravisseurs.

— Fiers chevaliers, cette vache est ma chère Lucette,

Je vous en conjure, rendez-moi cette noble bête !

— Que nenni, maraud, il s’agit là d’un butin de guerre,

Ôtes-toi de notre chemin, si tu ne veux tâter du fer !

    Face aux mines encore rougies de leurs récentes démêlées, le Raoul jugea qu’il n’était point opportun d’insister. Ainsi, fort désappointé, il ne put que lancer un appel désespéré vers sa tendre et douce.

— Ma Lucette, je t’aimeuh !

— Meeeeeeuuuuuuuuuuuh !

 

Mais notre héros n’était pas homme à se laisser abattre aussi aisément. Sans tarder, il s’en alla quérir le maire de Glayou et lui conter ses mésaventures. Le dignitaire, fort occupé à comptabiliser les victimes des débordements accidentels de la soldatesque, lui prêta une oreille aussi attentive que possible. Il avait la lourde charge de veiller au bien-être de ses administrés et ne pouvait décemment pas ignorer les doléances du Raoul. Il lui tint donc ces propos.

— Brave Raoul, cette injustice doit être réparée,

Saches que je m’engage à faire tout le nécessaire,

Mais d’abord, signes-moi ces quelques formulaires,

Que je vais transmettre de ce pas aux autorités.

Réjoui de voir sa requête entendue, le Raoul s’exécuta et apposa sa plus belle croix au bas des différents parchemins. Le notable s’empara des précieux documents et assura qu’ils parviendraient entre les mains compétentes au plus vite. Nulle inquiétude, il se ferait un devoir d’informer le paysan des progrès de la procédure. Se félicitant de l’efficacité de l’administration, le brave Raoul s’en retourna chez lui et attendit.

Au bout d’un mois, l’inquiétude le taraudait. N’y tenant plus, le Raoul se permit donc d’interpeller à nouveau le maire. Ce dernier, quelque peu embarrassé, consulta des piles et des piles de papier avant de pousser un soupir augurant de cruelles nouvelles.

— Mon pauvre Raoul, le sort s’acharne sur toi,

Je crains que ton dossier ne se soit égaré,

Signes-en un nouveau que je vais emporter,

Et celui-là, je le soutiendrai de tout mon poids.

    Bien que fort contrarié, le Raoul obtempéra. Contrit, le dignitaire s’excusa de ce fâcheux contretemps mais, après tout, les retrouvailles avec la Lucette n’en seraient que plus intenses.

    Un nouveau mois s’écoula et notre héros se mit à soupçonner que le maire cherchait à l’éviter. Ainsi, ce jour-là, alors qu’il allait chez le forgeron, il le découvrit par hasard au fond d’un tonneau. Le notable bafouilla.

— Oh Raoul, mais quelle bonne surprise !

— Cher maire, avez-vous des nouvelles ?

— Justement, il fallait que je vous dise…

— Ne soyez pas timide comme pucelle !

— Votre requête m’a été renvoyée,

Car déposée en dehors des délais.

— Foutredieu je n’y suis pour rien !

— Mon ami ne vous emportez point !

— Je me retrouve complètement marron.

— Vous pouvez faire appel de la décision…

— La peste soit de vos satanées procédures,

Cela fait bien trop longtemps que ça dure !

 

    C’est ainsi que notre Raoul s’éloigna, le courroux ceignant son front. En chemin, sa route croisa celle d’un preux chevalier. Touché par le désarroi du paysan, celui-ci s’enquit des raisons de telles émotions. Notre héros s’expliqua et conta l’odieux enlèvement de sa chère Lucette.

— Mon ami, ta cause est juste et sincère,

Elle sera ton arme dans cette quête,

Va de ce pas ravir ta promise de ses fers,

Et à ses ravisseurs, fends leur la tête.

    Sur ces mots bien sentis, le chevalier s’éloigna, satisfait du secours apporté à un pauvre hère. Notre Raoul jugea que ces paroles sonnaient vrai. Si la justice ne pouvait intercéder en sa faveur, il ferait justice lui-même. Fort de cette décision et persuadé que la noblesse de ses motivations lui permettrait de surmonter tous les obstacles, il s’arma de sa fourche, salua la Marcelle et se mit en route vers la capitale.

    Ainsi, trois jours écoulés, il parvint à la royale citadelle. Non loin de là, sa Lucette trônait dans un enclos au milieu d’autres congénères, telle une reine entourée par sa cour. Sur-le-champ, il franchit la clôture et se hâta vers sa mie. Après de longues et poignantes embrassades, il l’attira à sa suite mais se trouva aussitôt nez à nez avec quelques gardes courroucés.

— Ôtez-vous de mon chemin,

Cette vache est mon bien !

Persistez et je vous botte le fondement,

Mon amour me donne force de géant !

    Quelques instants plus tard, le malheureux Raoul fut jeté dans les douves après avoir été rossé de belle manière. La douleur de son cœur occultait celle de ses os et il se laissa aller à un excès de désespoir. Jamais il ne reverrait sa Lucette.

 

    Alors qu’il s’apprêtait à s’éloigner tout penaud, son regard se posa sur le donjon royal. Il eut soudain une illumination. Le monarque éclairé, père du petit peuple, ne saurait rester insensible à sa peine. L’espoir gonfla à nouveau son cœur et il alla promptement réclamer audience. Un numéro lui fit remis, un siège indiqué dans une vaste salle encombrée. Après quelques dizaines de cent pas parcourus avec anxiété, la voix rugueuse d’un garde l’appela. Enfin, le Raoul fut présenté à sa royale majesté. Il s’expliqua avec toute l’humilité et la déférence possible. La tête courbée, ses mains froissant son chapeau, il attendit la sentence.

— Brave Raoul, nous t’avons écouté,

Mais nous ne pouvons t’exaucer.

La Lucette produit un lait divin,

Dont nous raffolons sans modération,

Tu as bien su t’occuper de ce bovin,

Et il est juste de t’en offrir rétribution.

    D’une auguste chiquenaude, le roi lança une pièce d’or au Raoul. Celui-ci voulut exprimer son désaccord mais deux gardes l’entraînaient déjà dehors. Il se retrouva donc sur le pavé, une pièce d’or entre les mains en lieu et place du doux museau de sa Lucette. Las, il avait épuisé tous les recours possibles. A moins d’espérer un miracle, il n’avait plus qu’à se morfondre seul, avec son malheur et la Marcelle.

 

    Un miracle ? Telle était l’ultime solution ! L’entêté Raoul avisa le clocher le plus proche et s’y dirigea à grandes enjambées. Il ferait appel à la justice divine qui, elle, saurait reconnaître la pureté de ses intentions. Sans tarder, il se retrouva à genoux face à l’autel, les mains jointes, le visage tourné vers les pieux symboles. Il se mit à prier de toute son âme. Et le miracle se produisit. Dans un rayon céleste, un ange descendit à lui. Baigné de l’aura lumineuse, le Raoul pleura de félicité. La divine apparition lui tint ce discours.

— Le Raoul, la force de ton amour m’a touché,

Quel est ton souhait que je puisse l’exaucer ?

— De tout mon cœur, je souhaite ma Lucette,

La retrouver aussitôt et lui conter fleurette !

L’ange écarta les bras et s’apprêta à accomplir le prodige tant espéré. Mais de prodige, il n’y eut point et c’est un regard sévère qui accabla le pauvre Raoul.

— Le Raoul, ta Lucette est une vache !

— Oui, mais en quoi cela vous fâche ?

— Aimer une vache est péché mortel,

Tu encours la damnation éternelle !

— Mais que faire pour la serrer enfin dans mes bras ?

— Comme dirait l’autre, aides-toi et le ciel t’aidera.

Sur ce message plein de bon sens, l’ange disparut, abandonnant un Raoul désemparé.

 

Après toutes ces mésaventures, le brave Raoul ne ressentait plus que colère et frustration. De son poing dressé, il invectiva l’armée, l’état, le pouvoir, la religion et la Marcelle pour faire bonne mesure. Effrayé par cet acte de rébellion inconsidéré, il se reprit aussitôt. Mais, dissimulé dans l’ombre, un homme l’avait vu. Il s’approcha du Raoul non sans jeter de fréquents coups d’œil aux alentours.

— Camarade, j’ai entendu ta rage.

Saches que tu n’es point solitaire.

Une armée de forçats de la terre,

Se prépare et couve un juste orage.

Rejoins donc la révolution,

Ensembles, nous vaincrons !

Il n’en fallait guère plus pour décider un Raoul qui n’avait plus rien à perdre. A défaut de pouvoir enlacer sa vache dans ses bras, il saisirait le taureau par les cornes. La révolution fut menée tambour battant et abattit les privilèges et la royauté sans coup férir. Des nobles furent décapités, des soldats massacrés, des prêtres pendus et des innocents assassinés par mégarde. Le Raoul distribua force coups de fourche et même si toute cette violence outrageait sa nature placide, il savait qu’au terme de ce ténébreux sentier, sa chère Lucette l’attendait.

    Et c’est ainsi que son vœu le plus cher se réalisa enfin. La Lucette était là, face à lui. Il l’embrassa, la caressa, la bichonna. Passée l’émotion de ces émouvantes retrouvailles, le Raoul prit le chemin du retour avec sa tendre et douce. Mais, au sortir de la ville, il fut arrêté par des révolutionnaires.

— Camarade, où vas-tu donc avec ce bovin ?

— Je rentre chez moi et cet animal est mien.

— Fichtre non, nous allons le réquisitionner.

— Mais en l’honneur de quel injuste décret ?

— N’es-tu pas au courant, pauvre fol ?

Camarade, la propriété c’est le vol !

 

    Ainsi, notre malheureux Raoul revint à Glayou, sans sa Lucette et toutes ses illusions perdues. Mais rassurez-vous, l’épilogue de cette dramatique histoire n’est point si triste qu’il n’y paraît. Longtemps, le Raoul se morfondit, accablé de tristesse, mais il retrouva enfin le grand et véritable amour auprès de Germaine. Germaine était une truie, mais pas n’importe quelle truie. Son groin était si affûté qu’il percevait la truffe à des lieues à la ronde. Ainsi, chaque jour, le Raoul s’en allait aux champignons aux côtés de sa douce compagne, loin du mépris ou de l’avidité des puissants de ce monde.

 

    La moralité de cette histoire, mais peut-être en trouverez-vous une meilleure, est que l’amour est bien plus précieux que le pouvoir ou la puissance, que vous soyez amoureux d’une truie ou d’une vache.

 


 

 

 

 

Qui est André ? :  cliquer ICI

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24 août 2009 1 24 /08 /août /2009 17:23

Le danseur lutin

Marie-Catherine Daniel


C’était il y a dix lunes environ. Le printemps s'arrondissait et j'ai décidé d’aller voir ce qu’il y avait de l’autre côté des montagnes. En chemin, j’ai rencontré un jeune loup sans clan. Je l'ai nommé Ilaya et il a accepté. Nous jouions ensemble. Nous parlions ensemble. Nous chassions ensemble. Et la nuit, sous les étoiles nous chantions ensemble. Et personne dans les montagnes ne pouvait différencier son hurlement du mien.

Avec lui, nous sommes arrivés de l’autre côté des montagnes.

 

Il y a une plaine et elle semble ne pas avoir de fin. Elle est couverte de petits bois et de grandes prairies. Surtout, il y a les champs cultivés. Du blé et de l’avoine. Des betteraves et des topinambours. Ilaya et moi étions fascinés par ces champs. Toutes ces plantes alignées ! Nous rampions entre leurs rangs pendant des heures. Nous jouions à celui qui les ferait le moins frémir. Ou à celui qui s’approcherait le plus des villages. Nous passions des heures à regarder vivre les elfes-paysans. Nous les trouvions étranges. Ces elfes-là fabriquent leurs maisons comme ils fabriquent leurs champs. Pleines de lignes droites. Leurs routes aussi sont linéaires. Pavées de pierres taillées en carré ! Oui, nous les trouvions étranges. Mais pas dangereux. Non pas dangereux. Plutôt sympathiques même. Ils riaient souvent. Ils s’habillaient de couleurs vives. Ils travaillaient ensemble et s’occupaient bien de leurs enfants. Ils étaient beaux et fiers. Etranges et sympathiques.

Nous nous sommes enfoncés dans la plaine. Et un jour, nous avons découvert une ville. Ilaya ne comprenait vraiment pas comment tant de gens acceptaient de vivre ensemble. Il en était mal à l’aise. Il voulait repartir vers les montagnes. Mais moi j’étais fasciné par la ville. Je voulais y entrer. La voir de près. Je demandai au loup de patienter quelques jours. Son instinct lui disait danger. Mais pour l’amour de moi, il accepta. Nous nous sommes installés dans un bois.

 

C’est à la tombée de la nuit que je me glissai en ville. Enhardi par tous les bruits qui couvraient les miens et par l’assurance des elfes qui marchaient la tête haute sans jamais regarder leurs pieds, j’allai de cabane en maison. Je longeai les murs, profitant de chaque ombre. Il y a eu la rue des tisserands, le soyeux bruit des navettes et le tacatac régulier des coups de pédales des métiers à tisser.  Il y a eu la rue des fers et des cuivres. La nuit tombait : je vis s’éteindre les amoncellements de marmites et de plateaux précieux au fur et à mesure que les volets étaient rabattus. Puis vint le quartier des boutiques. Il s’y vendait de tout : tissus, bijoux, poteries de toutes tailles et formes. En son centre, je découvris la Grand’ Place. J'en fus ébloui. Elle était emplie de rires, de flammes et du fumet exquis de petites brochettes de légumes épicées. Partout des danseurs jaillissaient, des jongleurs cascadaient, des conteurs captivaient. Je me hissai le long d’une vigne vierge jusqu’au toit d’une vieille demeure. Assis dans l’ombre d’une gouttière, j’écoutai, je regardai et je humai. A la mi-nuit, la pluie menaça la lune et les merveilleux baladins. Je sus alors comment les remercier. A eux et à toute la ville, j'offris la danse de la Moisson. De tuile en tuile, plus léger que les gouttes d'une averse, je demandai sa clarté à la lune. Les nuages s'estompèrent. Les elfes continuèrent leurs fêtes.

Au petit matin, encore tout enivré de la beauté des rires et de la joie des danses, je repartis vers Ilaya.

 

A l’orée du bois, je m’arrêtai brusquement. Trois elfes y pénétraient. Presque silencieux. C’était les reflets de la lune sur leurs peaux pâles qui m’avaient alerté. Puis tout alla très vite. Un gémissement de loup déchira la nuit. Ilaya ! Il pleurait de douleur. Les elfes se mirent à courir. J’hurlai. Pour prévenir Ilaya. Pour détourner leur attention. Peine perdue. Je courus après eux.

 J’ai atteint en même temps qu’eux le buisson où se trouvait le loup. Sa patte était prise dans un piège. Un piège de métal aux mâchoires dentelées. Si puissantes. La patte était brisée. Je n’ai pas réfléchi. Pour arrêter l’arc qui se bandait déjà, j’ai bondi. Je me suis posté devant le loup. J’ai crié en Commun : “ Arrêtez, c’est mon ami ! ”.

L’arc s’est abaissé. Et pour cela, je ne regrette pas de m’être montré aux elfes. Une chose noire s’est abattue sur moi. Je me suis retrouvé dans un sac. La gibecière d’un des chasseurs.

Tout excités par leur prise, ils se sont mis à parler, tous les trois à la fois. Ils débattaient de ce que je suis. Ils me prenaient pour un elfe n’ayant pas grandi. Une monstruosité entre loup et elfe. Un résidu de troll et de fée. Je pris ma voix la plus calme pour leur expliquer.

- Je suis un lutin. Mon peuple vit loin d’ici. Le loup est mon ami. Lui et moi sommes en paix avec les elfes.

Je dus répéter cela plusieurs fois avant qu’ils ne se taisent et m’écoutent. Puis ils ont ri en se donnant de grandes claques sur les épaules et les cuisses. J’entendais très bien les claques. J’ai senti qu’il posait le sac. Ils se sont éloignés de quelques pas. Ils se sont mis à chuchoter. Et c'est comme ça que j’ai compris. Ils chuchotaient ! Pour que je ne sache pas ce qu’ils disaient. Ils ne me délivraient pas. Pourtant il était évident que je n’étais pas dangereux. Ils ne me respectaient pas. La colère m'a envahie.

J’avais toujours ma dague. J’eu juste le temps d’ouvrir une toute petite ouverture. Mon remue-ménage les a attirés.

- Arrête mutin, a dit l’un d’eux. Je vais ouvrir le sac et tu vas me passer ton couteau.

J’ai rétorqué :

- Je ne suis pas mutin. Je suis un lutin. Et je garde mon couteau.

J’ai continué à agrandir le trou.

Un des elfes a secoué le sac. C'était très désagréable.

- On a dit “ arrête ” lutin mutin, s’est-il exclamé.

Puis d’un ton plus menaçant :

- Sinon ton ami loup pourrait le regretter.

Il a du regarder Ilaya en disant cela car celui-ci a grondé. Mais son grognement s’est terminé par un gémissement de douleur.

Je me suis rappelé la patte brisée. Des larmes me sont montées aux yeux. Je devais leur obéir. Je ne pouvais pas m’enfuir. Ilaya était à leur merci.

Alors j’ai essayé de les raisonner :

- Le peuple des lutins est comme celui des elfes. Il vit en paix. A quoi vous sert de me retenir prisonnier ? Jamais mon peuple n’a accepté de payer rançon. Laissez nous partir le loup et moi. Nous vous promettons de quitter votre territoire. De ne jamais y revenir.

Un des elfes s’est esclaffé :

- Tu ne crois pas ce que tu dis ! Toi, avorton, être comme un elfe ? Oh Oui ! Comme un brin d’herbe ressemble à un arbre !

Un autre a susurré :

- Et cette ressemblance est amusante. Alors si tu veux partir, lupin mutin, lapin matin, tu vas d’abord nous amuser.

J’ai répondu :

- Je ne suis pas un baladin. Et je vous assure que les lutins sont comme les elfes. Comme les elfains. Comme les nains. Nous sommes les plus petits du Peuple. Mais nous sommes des gens du Peuple. Vous savez bien ce que sont les nains et les elfains. Dans les montagnes, les elfes et eux vivent ensemble.

- Ici, ont-ils dit, c’est le Royaume de la Salune et les elfes y vivent selon le rang qui leur est dû. Nous sommes des elfes et nous disons que tu es amusant. Alors amuse nous.

Vaincu, j’ai essayé de négocier :

- Je ne peux pas vous amuser. Mon ami souffre. Laissez-moi le soigner. Ensuite, je danserai pour vous.

Mais ils ont exigé :

- D’abord tu danses ensuite tu soignes.

Ils ont ouvert la gibecière. Ils m’ont pris ma dague. La souffrance voilait les yeux d’Ilaya. En me voyant sortir, une grande lueur d’espoir l’a chassée. Ne comprenant pas le Commun, il a cru en me voyant libre que tout allait bien. Sa joie s’est vite éteinte. Sans le regarder, je me suis mis à danser. J’ai annoncé la Chasse du Loup mais ce n'est pas elle que j'ai interprété.  J’ai modifié les postures. Mes mains ont mimées des oreilles dressées plutôt que légèrement couchées. Je ne disais plus la joie de la traque. Je parlais d’inquiétude et de soumission. Ilaya a accepté. Les elfes n’y ont vu que du feu.

Ils ont même applaudi bruyamment. Et ont enfin dégagé la patte de mon ami. L’un d’eux m’a aidé à y poser des attelles. Mais quand j’ai voulu quitter les elfes, ils ont refusé en riant.

- Tu es bien trop amusant, mutin loup. Tu vas venir avec nous. Tu danseras sur la Grand’Place. Tu seras célèbre. Nous serons riches. Nous garderons le loup aussi. Sa vie sera ton paiement.

Rien n’y a fait. Ils m’ont obligé à rentrer dans le sac. L’un d’eux a muselé Ilaya avec une cordelette. Il l’a chargé sur ses épaules. Nous sommes tous partis pour la ville.

 

Pendant six lunes, j'ai dansé la Vie du Loup sur la Grand' Place. Mais la nuit dernière, Ilaya a terminé sa longue agonie. Alors ce soir, c'est la Mort que je danserai.


Petite histoire : Ce texte est le résultat d'un atelier d'écriture : il s'agissait d'écrire une histoire en n'utilisant que des  phrases courtes.

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30 mai 2009 6 30 /05 /mai /2009 07:40

Attention : Virus


Joëlle Brethes



Ier juin 2065.

   Lydie profitait d’un long congé dans son domespace de repos quand le phénomène avait débuté. Discrètement. Insidieusement. Juste une petite plage circulaire autour de l’ombilic. Une ombre à peine visible qui, peu à peu, s’intensifiait au centre tandis que le pourtour s’élargissait. C’est Paul, son compagnon, qui s’en était aperçu le premier :

   — C’est quoi, ça ? Tu te fais coloriser, maintenant ? Je croyais que tu avais ces nouvelles techniques en horreur !

   Elle s’était examinée, s’était étonnée puis inquiétée. Depuis lors, chaque matin, elle mesurait la progression de la tache. Un ami médecin, à qui elle avait demandé conseil avait haussé les épaules, se voulant rassurant, mais il avait aussitôt contacté ses confrères de l’Institut interstellaire.

   Il s’était vite avéré que Lydie n’était pas un cas unique. Une cinquantaine d’autres spationautes avait développé l’inquiétant syndrome.

   Uniquement des femmes.

   L’une des malades, suivie depuis l’apparition du mal et isolée dans un complexe médical sous haute surveillance militaire en était à son 83ème jour d’observation. Seuls son visage et l’extrémité de ses membres étaient exempts de la curieuse pigmentation. Son nez, en revanche s’était épaté et aplati, ses yeux s'étaient étrécis et ses orteils ainsi que ses doigts avaient presque doublé de volume.

   Qu’était-il donc arrivé à ces jeunes femmes ?

   Pouvait-on envisager un remède à ce mal indolore mais angoissant ? D’autant plus angoissant que les organes internes des malades réagissaient de façon étrange : une curieuse mutation débutait, puis stoppait de façon incompréhensible avant d'amorcer un retour à la normale.

   Mais la métamorphose pouvait reprendre à n’importe quel moment.

   Et s’achever.

   De quelle façon ?


 

   — Il faut absolument cerner l’agent contaminateur ! tonna, ce matin-là, le Major Berthier. Il y a bien, entre ces femmes, un point commun qui explique cette fâcheuse contagion. La rumeur commence à circuler dans les milieux scientifiques et on a enregistré une baisse sensible de recrutement féminin ces dernières semaines.

   Un point commun ! c’est évidemment ce qui avait été tenté ! Âge, taille poids, antécédents médicaux, domiciles, affectations successives... Les données s’additionnaient dans le gros ordinateur de la base spatiale européenne de Francfort mais rien n’en était encore sorti. Qu’elles fussent d’origine européenne, asiatique ou africaine, grandes ou petites, chrétiennes, musulmanes ou athées, mariées ou non, homo ou hétérosexuelles, toutes celles qui attrapaient la maladie devenaient progressivement vertes, s’épataient du nez, se rétrécissaient des globes oculaires et devenaient impossibles à chausser et à ganter.

   Leur parcours professionnel avait été sensiblement identique. La rotation planifiée et suivie scrupuleusement par l’ensemble des personnels volants conduisait en effet tous les spationautes des deux sexes, sans exception, sur les différentes stations spatiales : Mir, Lux, AumhO, Paihrsy. Tous ces jeunes gens avaient en outre fréquenté les plates-formes de leurs homologues Martiens et Vénusiens.

   Une pudeur idiote, la crainte, surtout, d’un conflit diplomatique (ou pire) avec les extraterrestres récemment admis dans la confédération avait empêché un dialogue franc sur le problème. Il allait pourtant falloir s’y résoudre.

   Une réunion des différentes parties fut donc organisée au palais parisien de l’UNESCO.

   Le Major s’éclaircit la gorge. Il adapta son traducteur instantané dans son oreille droite et fit signe à ses collègues de l’imiter. Puis, après moult précautions oratoires et plusieurs couplets amphigouriques sur les bienfaits de la récente coopération entre les trois peuples, il exposa les faits aux dignes représentants martiens et vénusiens dûment protégés par leurs masques et combinaisons thermiques respectifs. Ceux-ci écoutèrent en silence et sans surprise apparente le discours du militaire puis, s’étant juste consultés du regard, ils quittèrent pesamment la pièce.

   — Et voilà ! explosa le docteur Khlone, responsable des recherches éco-ethno-bioterrestres. Nous les avons choqués. C’est la rupture ! Vous savez pourtant bien que ces gens-là sont en avance sur nous ! Ils n’auraient qu’à lever le petit doigt pour transformer la Terre en un désert de ruines ou de sable et de cendre. Parfaitement ! Comme ils l’ont fait sur la lune avec nos ancêtres. Ça les arrangerait : ils pourraient s’installer à notre place après avoir occis jusqu’au dernier d’entre nous. C’était pas malin de leur donner un prétexte ! Pas malin du tout ! Je vous avais pourtant prévenus.

   Très décontenancée, la délégation s’éparpilla, la peur au ventre.

   — De toute façon, glapissait le généticien Shutox en longeant le couloir à longues enjambées, c’est à eux que nous devons cette maladie, quel qu’en soit le vecteur : les malades sont verts comme les Martiens et ont le faciès et les membres des Vénusiens.

   Personne ne répondit mais tous soupirèrent. C’était bien évidemment un phénomène qui n’avait échappé à aucun d’entre eux.

   Le soir même, la plus ancienne des malades mourut. Ses poumons et son cœur avaient proprement et simplement implosé.

   La terrifiante nouvelle se propagea aussitôt et le Terrien lambda, stupéfait et consterné, apprit à la fois l’existence de la maladie et le caractère fatal de son issue.

   Les manifestations de colère éclatèrent parmi les civils, et la panique s'accrut chez les spationautes du monde entier. Même les hommes frissonnèrent bien qu’aucun cas n’eût été recensé dans leurs rangs et qu'il fût admis que la mal était exclusivement féminin.


 

   Le mois suivant, quatre nouvelles malades décédèrent, et une demi-douzaine de nouveaux cas se déclarèrent. On enregistra un grand nombre de démissions dans les centres spatiaux. Que faire ? Fallait-il fermer les infrastructures et abandonner tous les projets d’exploration et d’exploitation extraterrestres ?

   Après avoir été fêtés, invités, adulés, les spationautes étaient fuis comme des pestiférés : pouvait-on être sûr que la maladie, circonscrite provisoirement dans leur milieu, ne se révélerait pas contagieuse à longue échéance pour les civils ?

   Après avoir été respectés et interrogés avec intérêt, les Martiens et leurs confrères Vénusiens étaient eux aussi mis à l’index : porteurs sains du « virus du 3ème millénaire », c’étaient, à n’en pas douter, les anges de la mort...

   Bref, la situation devenait invivable.


 

   Cette conjoncture inconfortable durait depuis plusieurs semaines quand, de façon assez mystérieuse, l’épidémie cessa. Les contaminés achevèrent de mourir, bien sûr, mais aucun nouveau cas ne fut déclaré. On en fit grande publicité, les primes d’engagement furent multipliées par dix, et les recrutements reprirent donc. Timidement d’abord, puis de façon plus hardie.


 

   Ce 4 décembre 2065, dixième anniversaire du premier pas humain sur Mars, Max Friedman, le président de la confédération européenne demanda à visiter les locaux du Centre principal d’entraînement des spationautes, à Moscou. Ce n’était pourtant ni l’excellence des structures du centre ni l’efficacité de l’entraînement dispensé aux spationautes qui avaient motivé cette demande. Non ! si Friedman avait ainsi insisté, c’est que son propre fils, Bruce, y avait été admis neuf semaines plus tôt pour y suivre l’entraînement réglementaire.

   Shutox et Khlone qui présidaient la visite se rengorgeaient devant l’admiration respectueuse manifestée par celui qui dirigeait presque 10 milliards d’êtres humains...

   Après avoir été véhiculée dans des kilomètres de couloir et s’être fait admettre dans une vingtaine d’unités d’entraînement, la délégation arriva devant une vaste porte qui n’autorisait le passage qu’aux personnels munis de cartes spéciales. La cabine de visite ralentit et marqua un léger temps d’arrêt avant de se remettre en marche.

   — Mais... Protesta Friedman, nous n’entrons pas ?

   — Désolé, Monsieur le Président, fit Khlone, mais l’admission est strictement contrôlée.

   — Je suis le Président, tout de même ! répliqua Friedman avec bonhomie.

   Après avoir opposé un nouveau refus aussi aimable que ferme, et reçu en retour une exhortation aussi polie que menaçante, Khlone et Shutox durent se résoudre à obtempérer.

   La salle était très grande. Son pourtour était équipé d’une cinquantaine de petits boxes étanches aux cloisons transparentes. La totalité de ces boxes était occupée par des jeune gens endormis allongés sur une table de verre. Un appareillage compliqué obstruait les bouches, les narines et les oreilles. Une console centrale enregistrait des données... Friedman fronça les sourcils, perplexe : les jeunes gens, quel que soit leur sexe étaient entièrement nus.

   — Simulation de l’atmosphère des stations orbitales de Mars ou de Vénus, fit sobrement Shutox. Tous les spationautes passent dans ces boxes avant chaque mission.

   Il se lança dans des explications que le président écouta avec beaucoup d’attention.

   — Je comprends, mais faut-il vraiment qu’ils soient nus ? fit remarquer Friedman. Ce n’est pas que je sois particulièrement pudique, mais...

   Il s’interrompit. L’une des deux formes, derrière la console venait de se lever et se dirigeait dans leur direction. Un extraterrestre. Il pénétra dans le box devant lequel le petit groupe devisait et s’affaira près d’une jeune femme endormie.

   — Ils sont vraiment laids, ces Martiens, chuchota Friedman.

   — Ce Martien-là est une Martienne, fit simplement Shutox ; la couleur de sa peau tire sur le bleu et ses yeux sont d’or. Les Martiens sont plus franchement verts et leurs yeux sont rubis.

   — Une Martienne, en effet, confirma Khlone. Bizarre !

   Les deux scientifiques se jetèrent un regard perplexe. Suivant une obscure coutume intergalactique appliquée par Mars et Vénus, seuls les hommes travaillaient dans les centres spatiaux terrestres. Les femmes n’étaient admises que dans la diplomatie et le commerce. Que signifiait, par conséquent, la présence de ces Martiennes à Moscou ?

   — À force de se faire brocarder pour leur sexisme, avança Khlone, ils ont apparemment fini par changer leurs habitudes.

   — Eh bien moi !… je me demande...

   Shutox fit claquer ses doigts et fonça vers la sortie.

   — Qu’est-ce qui lui prend ? gronda Friedman interloqué.

   Khlone eut un geste d’ignorance. Quelques minutes plus tard, il invita son hôte à retourner dans le grand hall d’accueil où une collation attendait les visiteurs.


 

   Shutox fut impossible à joindre pendant tout le trimestre suivant. Puis il convoqua son collègue et les responsables des différents centres. Il prétendait avoir résolu le mystère de l’épidémie qui avait causé la mort d’une soixantaine de jolies jeunes femmes, toutes promises à un bel avenir inter-stellaire... Il annonçait du jamais vu, de l’incroyable, de l’horrible.


 

   Il y eut des remous tout le temps qu’il s’exprima ; des « oh ! » des « ah ! » de surprise ; des « C’est scandaleux ! » pleins de colère ; des « Pourquoi ne sont ils pas là pour répondre de leurs actes ? »...


 

   Le lendemain, malgré l’appel à la discrétion de Shutox (après tout, les extraterrestres, même s’ils n’avaient pas battu leur coulpe en public, avaient au moins pris la situation en mains et s’étaient montrés efficaces !) la presse se déchaîna :

   « Centres spatiaux très spéciaux » titrait le Galacticus holographique international qui poursuivait impitoyablement : « Les Martiennes et Vénusiennes récemment nommées aux postes de leurs lubriques compagnons résisteront-elles au charme de nos spationautes ? »


 

   Non, évidemment !


 

   Quelques jours plus tard, au bord de sa luxueuse piscine, le président Friedman, atterré, fit remarquer à son fils Bruce qu'un halo bleuâtre entourait son ombilic...

 

FIN

 



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Attention : virus a obtenu le 3ème prix du concours de nouvelles Infini en 2006.
La fiche auteur de Joëlle  se trouve : 
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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 13:23
LES AMANTS GIGOGNES
Claude Romashov



On en parlait à la cour, la princesse, fille du roi avait un amant. Un jeune homme fier et beau. Lasse d’écouter chanter les rossignols des boîtes à musique. Elle avait cédé à la tentation d’une autre mélodie, plus douce à son oreille et glissante comme perles de pluie sur sa peau d’albâtre. Le chant cajoleur de l’amant à la beauté et l’ardeur déployées.

Les duègnes et les parangons s’offusquaient d’une attitude aussi désinvolte car ce n’était pas la première fois que la princesse prenait amant de velours paré. Mais elles fermèrent vite leurs vilains becs car elles ne voulaient pas contrarier le roi qui adorait sa fille.

Dans la chambre de la princesse, le lit se retournait de désir et les boîtes à musique enrayaient leurs mécanismes. Les draps de soie faisaient crisser leurs fifres sauvages et les senteurs s’alourdissaient de tous les lys et tubéreuses des jardins.

L’amant fougueux rejoignait sa dulcinée à la tombée de la nuit et tous les êtres vivants retenaient leur souffle et leurs cris.

Quand au petit matin, la belle princesse s’endormait près de l’élu de son cœur on entendait le claquement d’un couvercle d’une boîte sertie de pierres précieuses. Discrètement un être chiffonné et perclus s’extrayait de son écrin et contemplait d’un regard jaloux, le jeune présomptueux qui lui avait succédé dans le cœur et, il faut bien le dire, dans le corps de l’inconstante princesse. Cela le rendait de fort méchante humeur.

- « Quel impair ai-je donc commis pour être rejeté de la sorte et condamné à vivre dans cet espace étroit. Je l’aime tellement, je ne sais en quoi, j’ai pu déplaire à ma princesse ? » Sanglotait-il assez fort pour incommoder le petit homme à la barbe rêche qui dormait dans un autre compartiment.

- « Tais-toi donc un peu ! Sot personnage ! C’est moi qu’elle aimait avant que tu ne me déloges de son cœur. Rassures toi, je ne vais pas croiser le fer avec toi car j’ai passé l’âge. On vieillit bien trop vite dans cet espace insalubre.

- « Mais enfin, arrêtez de gémir, grinça un autre vieillard édenté. Ici, vous êtes au chaud et nourris du chant des oiseaux des boîtes à musique. D’autres galants, bien plus beaux et plus hardis que vous, ont été passés par les armes ou croupissent dans de sombres et humides cachots. Et puis, vous êtes tout près d’elle, à entendre son souffle, à respirer son parfum, à caresser du regard ses formes, suggérées par les étoffes vaporeuses. »

- « Peut-être ! Reprirent-ils tous en chœur, mais nous sommes devenus secs avant l’âge, la punition est amère pour les ardents jeunes hommes que nous étions. »

Un bruit de voix se fit entendre…

Ils  refermèrent le couvercle et on ne percevait plus qu’un long murmure. Il était temps…

Le roi, suivi de sa garde pénétra dans la chambre de la princesse. Il avait son visage des mauvais jours. La jeune fille effarée se jeta à ses pieds, en vain. Il se saisit de l’amant qui essaya de fuir, le pantalon bouffant sur les chausses. Le malheureux gigota entre ses doigts de façon dérisoire puis rejoignit ses pairs dans la boîte gigogne.

La princesse versa quelques larmes d’amertume mais savait qu’un autre prétendant au regard bleu acier attendait son tour pour la cueillir.

Dans la boîte qui craquait aux jointures, les délaissés se poussèrent mécontents pour faire place à un nouveau locataire.

Ils étaient condamnés à finir en poussière car ils avaient répondu aux avances d’une  princesse cruelle dont la beauté, les battements de cils, les lèvres rouges sont un piège mortel.


Dans la jungle amazonienne, les perroquets de couleurs jasent comme des boîtes à musique. La princesse des fleurs carnivores ouvre son calice rouge et agite ses cils vibratoires sous les ombrages des feuilles vernies, porteuses d’une cour de bels insectes.

Un jeune et fringant explorateur la fixe de ses yeux, bleu acier. Il avance une main pour la cueillir. L’inconscient !


 

 

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 05:59
Borg le Barbare

André Samie


— Tremblez, pauvres mortels, devant la puissance du terrifiant Borg Dents-de-fer, le pourfendeur de dragons, le fléau des mages, le cauchemar des paladins ! Fuyez devant son invincible armée et sa hache vengeresse ! Nul ne peut résister à…

— Qu’est ce tu dis, chef ?

— Hein ? Quoi ?

— Ben, tu disais quelque chose…

— Non, rien. Et arrête de jeter tes crottes de nez sur mes bottes ! Crétin !

Morback le gobelin évita de justesse la baffe de son vénéré chef, Borg le barbare, et se mit hors de portée d’éventuelles représailles. Cela faisait maintenant deux mois que la horde était perdue en plein désert et l’humeur de Borg se faisait particulièrement ombrageuse. L’eau commençait à manquer et les ogres lorgnaient de plus en plus sur les loups des pillards gobelins.

Mais plus que la faim et la soif, c’était l’inactivité qui minait le plus le moral des troupes. Même les cyclopes n’avaient plus goût à pratiquer leur sport favori, le lancer de gob’. Borg, en bon chef de guerre, était conscient de la gravité de la situation et en fit une judicieuse synthèse :

— Beuhar.

 

C’est alors que Bigail, le cyclope le moins myope de la horde, poussa un grand cri :

— Là-bas ! Une caravane !

Borg eut juste le temps de se jeter de côté pour éviter de se faire piétiner par la charge furieuse des ogres, bientôt suivis des cyclopes, des orques et des gobelins. Se relevant, il vociféra :

— KIKI !

Par malheur, son blanc béhémoth, en plus d’être sourd comme un pot, était plongé dans une profonde sieste. L’énorme créature ne daigna pas bouger d’un poil ou d’une griffe. Le fier barbare fut donc contraint de mener la charge irrésistible de ses troupes en courrant derrière.

La bataille fut brève et sanglante et quand Borg, à bout de souffle, réussit enfin à rejoindre son armée, la victoire était totale. Pourtant l’escorte de la caravane était imposante mais les guerriers n’avaient pu opposer qu’une résistance symbolique face à la fureur de la horde sevrée de sang depuis plus de deux mois.

Tandis que Borg s’époumonait à expliquer aux ogres qu’ils devaient laisser passer le chef devant, Morback, son fidèle écuyer, l’interpella :

— Chef, y a un type là-bas qui veut pas se laisser tuer.

— Comment ça ? Quel malotru ! On vit vraiment une triste époque. Bien, allons voir ça.

En effet, un peu plus loin, un homme habillé de vêtements sombres brodés d’argent se dressait face une dizaine d’orques qui gesticulaient de manière pathétique, comme englués dans une toile invisible. Une fois de plus, Borg fit preuve de sa perspicacité légendaire.

— Eh toi le mago, fais pas le rigolo, car très bientôt, j’aurais ta peau !

— C’est beau ce que vous dites, chef.

— C’est pour ça que je suis chef, mon petit Morback.

Le récalcitrant épousseta la poussière de ses robes avant de répondre.

— C’est vous le chef de ce ramassis de brutes sanguinaires ?

— Ouais ! Et mon nom est Borg Dents-de-Fer, le pourfendeur de dragons, le fléau des mages et le cauchemar des paladins !

— Jamais entendu parler.

— Ouais, bon, mais ce n’est pas une raison pour faire le malin. T’es qui toi ?

— Mon nom est Nexus, et comme vous l’avez brillamment deviné, je suis un magicien. J’ai une proposition qui devrait intéresser un puissant chef de guerre comme vous.

Borg gonfla la poitrine et prit une pose avantageuse.

— Je daigne t’écouter, mago. Mais sois bref.

— Je sais où il y a de l’or, de la bière, de la princesse et beaucoup de combat.

— Tope-là, mago ! En route ma fidèle armée ! A nous la gloire, la puissance et la richesse !

Et la troupe se mit en branle dans un très harmonieux désordre.

— Euh… Seigneur Borg ?

— Oui, mago ?

— C’est dans l’autre direction...

— Ne sois pas insolent, je le sais bien. Ils m’énervent ces magiciens à toujours se croire plus intelligents que les autres…

 

C’est ainsi que Borg le barbare s’en alla vers une illustre destinée. Grâce aux conseils avisés de Nexus, la troupe sortit du désert en moins de trois semaines et arriva dans une région verdoyante délicieusement vallonnée comme le creux des hanches d’une jeune pucelle. Enfin du moins c’est ce que se disait Borg, qui décidément avait l’âme d’un poète. Fièrement campé sur le dos de Kiki, le barbare considérait le décor de l’œil du conquérant et imaginait un avenir glorieux.

— Je me taperai bien une mousse, moi. Dis-moi, mago, c’est par où la baston ?

— A cinq jours de marche d’ici. Mon seigneur, le Roi Paulus, est assiégé par l’armée de son grand-cousin par alliance du côté de sa mère, le sinistre Duc Antonius. Il m’avait envoyé, moi, magicien royal, chercher des renforts. Comme vous avez massacré ces renforts, je vous propose de les remplacer.

— Y aura de l’or ?

— Oui, plus que vous ne pouvez l’imaginer.

— De la bière ?

— Oui, et de la bonne.

— Et de la princesse ?

— Pareil.

— Parfait. En route, fidèles compagnons !

 

Le moral des troupes était maintenant au beau fixe depuis l’annonce des futurs combats à livrer. Les orques entonnaient de mélodieux chants de guerre, les ogres avaient aiguisé leurs dents avec beaucoup d’application, les cyclopes jonglaient avec les gobelins et les gobelins en hurlaient de plaisir. Même Kiki semblait de bonne humeur et batifolait avec grâce en pourchassant les papillons. De son côté, Borg élaborait son plan de bataille.

— Bien. La baston en premier. Puis la bière parce que ça donne soif. Puis la princesse. A moins que je garde un peu de baston pour après la bière ? L’or, en dernier, ça c’est sûr. Peut-être la princesse avant la bière ? Ou bien je commence par la bière, parce que j’ai une de ces soifs…

— Chef ! Y a un château là-bas et une armée qui l’assiège.

En effet, au détour de la route, une imposante citadelle sise au sommet d’une colline s’était dévoilée. Les environs étaient noyés sous une marée humaine, visiblement installée ici depuis quelques temps. Fantassins, arbalétriers, machines de guerre, cavalerie lourde et légère et autres paladins avaient aménagé un vaste campement de tentes multicolores surmontées de nombreuses oriflammes. Cette armée avait fière allure et était au moins vingt fois plus nombreuse que la horde de Borg. De nombreuses brèches et fissures fragilisaient les fortifications et il ne faisait aucun doute que le dénouement de cette bataille ne soit imminent.

Borg prit rapidement sa décision. Il allait profiter de l’effet de surprise pour fondre sur sa proie tel un elfe sur un magasin de vêtements moulants.

— En ordre de bataille, fiers compagnons !

— Mais chef ? Ils sont vachement nombreux et ils ont l’air balèze…

— Ahah ! Ils ne résisteront point longtemps face à notre courroux et à notre fureur !

Le puissant guerrier, dressé sur l’encolure de Kiki et brandissant son marteau, s’adressa à ses troupes :

— Fidèles guerriers, le sang nous appelle ! En ce jour glorieux, sous le ciel immaculé, nous allons, courageux compagnons, écrire de la pointe de nos armes une page historique qui restera dans la mémoire de tous ! Face à un adversaire supérieur en nombre, Borg le barbare et sa horde, éreintés par une longue marche forcée, se battirent avec fureur au mépris de leur propre vie ! Et l’adversaire face à tant de bravoure et de détermination ne put qu’opposer une pathétique résistance et fuir tels des moutons face au loup ! Chargeons, massacrons, tuons !

Beuhar ! ! !

Et sur ces mots, Borg chargea les lignes adverses.

— Dis, Morback, il a dit quoi le boss ?

— En fait, j’ai pas tout compris…

— Il a parlé d’écrire non ? Je sais pas écrire moi…

— Il a parlé de moutons… J’en vois pas… T’en vois ?

— Ben non. Où est-ce qu’il va ?

— On dirait qu’il charge… Tout seul…

 

Dans le camp des assiégeants, le duc Antonius cogitait avec son état-major sur l’assaut final. Soudain, un officier, relevant la tête, remarqua :

— Seigneur, il y a un barbare chevauchant un béhémoth qui nous charge. Tout seul.

— Oui, bien sûr. Et les nains boivent de l’eau.

— Mais, seigneur, je vous assure que c’est vrai.

— Quoi ? Mais c’est qui ce crétin ? Viandez-moi ce bouffon !

L’image était saisissante et digne des récits mythologiques. Dévalant la colline, le soleil droit au-dessus de lui, Borg faisait tournoyer son marteau en poussant d’abominables cris de guerre. Il chargeait droit sur les lignes d’infanterie qui s’étaient repositionnées dans la hâte pour réceptionner l’assaut. L’impact était imminent et Borg riait face à ses ennemis. Le sol vibrait sous les puissantes foulées de Kiki dont les monstrueuses griffes labouraient la plaine verdoyante parsemée de jonquilles et de tulipes.

Soudain, le blanc béhémoth freina des quatre pattes, propulsant de véritables montagnes de terre sur les soldats. Il se mit à renifler tandis que Borg lui hurlait dans les oreilles. Et Kiki éternua.

Ce fut une véritable tempête. Les lignes adverses furent soufflées et jetées à terre. Les tentes du camp basculèrent ou s’envolèrent, suscitant un gigantesque capharnaüm. Terrifiés par le vacarme, les chevaux jetèrent à bas leurs cavaliers et s’égaillèrent au grand galop dans la nature. En un instant, l’armée si bien disciplinée du duc Antonius fut plongée en plein chaos. Et Kiki continuait à éternuer de plus belle, réduisant à néant les tentatives des soldats pour l’abattre. Nul, et surtout pas son propriétaire aurait pu deviner que le pauvre animal était particulièrement allergique au pollen de tulipe.

 

Pendant ce temps là, au milieu du campement adversaire, Borg se relevait avec grande peine, les os endoloris. Dès le premier éternuement de Kiki, il avait été désarçonné et projeté au loin en un élégant vol plané. Par chance, sa chute avait été amortie par d’épaisses toiles de tente. Après avoir réajusté son pagne, il réalisa qu’il était encerclé par ce qui semblait être l’état major de l’armée. Il prit alors la fière posture du conquérant, prouvant ainsi qu’il était vraiment un héros digne des légendes :

— Tremblez, misérables vermines, devant Borg le barbare ! Rendez-vous ou subissez mon indomptable courroux !

— Abattez-moi ce guignol !

Non loin de là, la horde de Borg était toujours en train d’essayer de comprendre la diatribe de leur chef. Réalisant que ce dernier mettait une armée en déroute à lui tout seul, ils jugèrent que c’était fort égoïste de sa part et décidèrent d’un commun accord de ne point le laisser être le seul à s’amuser. Les pillards chargèrent en premier, suivis de près par la massive cohorte des ogres. Les cyclopes appliquèrent une technique mainte fois éprouvée et catapultèrent des guerriers gobelins sur les troupes ennemies. Les orques, qui formaient le gros de la troupe, déboulèrent sur les flancs. Complètement prise au dépourvu, l’armée ducale engagea le combat.

La mêlée était féroce et sanglante. En l’absence d’ordres de leurs commandants, les assiégeants se battaient de façon désordonnée. Dans ce domaine, ils ne pouvaient guère rivaliser avec les troupes de Borg. Cependant, l’issue de la bataille restait indécise car l’ennemi bénéficiait de l’avantage du nombre. Ce n’est que quand les cyclopes chargèrent, après avoir lancé le dernier gobelin, que la victoire sembla se dessiner.

Pendant ce temps, Borg, très contrarié d’avoir été traité de guignol, se battait tel un démon. A grands coups de marteau, il fracassait les cranes, brisait les membres et broyait les articulations. Les corps s’accumulaient à ses pieds et il fut bientôt recouvert du sang de ses adversaires et de ses multiples blessures. Plus personne n’osait l’approcher. Essuyant le sang qui lui coulait sur les yeux, il vit qu’il était cerné par une dizaine d’archers. Le duc Antonius le regardait d’un air sardonique :

— Alors, guignol, on fait moins le fier ?

Soudain, le visage de Borg se transforma et une expression de peur apparut. Il balbutia :

— Non… pas ça… non… pas encore…

— Ahah, tu trembles de peur, misérable vermisseau !

— Non…NON KIKI ! ! !

D’un puissant bond, le béhémoth rejoignit Borg. Le sol vibra sous l’impact de la titanesque monture. Tout heureux d’avoir retrouvé son maître, Kiki lui témoigna son affection à grands coups de langue. Tout englué dans un liquide poisseux, le barbare vociférait :

— Arrête ! Ça suffit ! Oui… oui… moi aussi je t’aime !

Il réussit enfin à se dégager de l’étreinte de son fidèle compagnon.

— Kiki ! Tu as écrasé le général ennemi ! Pousses ta patte. Ah ben non… il est vraiment tout cassé. Il n’y a plus rien à en tirer, même en le rafistolant un peu. Et mon combat final avec le héros adverse sur une montagne de cadavre ? Ah quelle déception !

La nouvelle de la mort du duc se propagea comme un feu de broussaille à travers toute l’armée et bientôt elle se rendit à la horde victorieuse. Le magicien Nexus qui avait suivi toutes ces péripéties de loin, s’approcha et félicita le seigneur de guerre :

— Bravo ! Quelle magnifique bataille ! Je n’en crois pas mes yeux. Venez, que je vous présente à mon roi. Au fait… ne voulez-vous pas prendre un bain avant ?

— Pour quelle raison devrai-je m’infliger cette torture ?

— Disons que votre accoutrement de tripes, boyaux et fragments de cervelle n’est guère séant.

— C’est la preuve de ma bravoure !

— Certes. Je ne doute pas que le roi y soit sensible. Toutefois, je crains que les princesses ne soient d’un autre avis.

— Si tu me prends par les sentiments, mago, je ferai donc cet effort.

 

La horde fit son entrée dans la cité du roi Paulus sous les acclamations de la foule. S’ensuivit moult ripailles et perçages de fûts de bière. La cour royale rendit les honneurs à la vaillance et à la témérité de Borg. Les dernières réserves de nourriture disparurent cette nuit là et le banquet fut prodigieux. Tard dans la nuit, Borg, harassé et fourbu, patientait allongé sur un lit dans une somptueuse chambre. Une magnifique jeune fille entra et s’approcha.

— Mon héros…

— Ma princesse…

— Quelle impressionnante musculature…

— Mouiiii…

— Quel torse viril…

— Mouiiii…

— Quelles larges épaules…

— Mouiiii…

— Quelles belles cicatrices….

— Mouiiii…

— Quel fier visage…

— Mouiiii…

— Quelle jolie enclume…

— Hein ?

— SBLAM !

 

Quand Borg émergea de son sommeil, le soleil était haut dans le ciel et dardait ses impitoyables rayons sur le désert. Se relevant, il discerna les survivants de son armée éparpillés autour de lui. En peu plus loin, Kiki ronflait bruyamment. Tandis que le barbare massait l’énorme bosse qui ornait son crâne, le fidèle Morback tituba vers lui.

— Quelle fiesta !

— Et quel mal de tête. Qu’est-ce qu’on fait là, Morback ?

— Je ne sais pas. On dirait bien qu’on a été floué par ce fourbe de mago.

Borg éclata de rire.

— Quelle importance ? Cette bataille restera à jamais dans les légendes et c’est bien l’essentiel !


 


 

 

 

 

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11 mars 2009 3 11 /03 /mars /2009 12:48
Les Oiseaux-Brume et les Tigurins
Anthony Boulanger



Aujourd'hui est assurément un grand jour, car je vais vous livrer un secret. Oh, ce n'en était pas un auparavant, du temps où nos ancêtres croyaient encore aux druides et aux dieux. Mais notre siècle est ainsi, et ce qui autrefois était Histoire est devenu Légende ou Mythe.
Pourquoi vous raconter ce secret en ce lieu et en cette heure ? Et bien, je ne pense pas qu'il y ait de meilleur moment que celui-ci, car les gens s'intéressent de nouveau à l'oppidum du Vully et à son mur. Oui, je vais vous conter ce qui advint autrefois à nos ancêtres helvètes pour qu'ils construisent ce rempart et cette forteresse.

Notre histoire prend place ici même, dans notre pays d'eau et de montagne. Lorsque vous regardez les Trois Lacs aujourd'hui, que vous évoquent-ils ?  Volupté, sérénité ? Il n'en était pas ainsi, autrefois, pour les Tigurins qui vivaient dans cette région. Car ces Lacs étaient les palais des Oiseaux-Brume et de leurs serviteurs.
Nul ne sait aujourd'hui comment sont apparues ces créatures. Etaient-elles déjà là avant l'installation des premiers celtes ? Sont-ils descendus des montagnes en même temps que nos aïeux s'implantaient ? La réponse importe peu en vérité.
Les Oiseaux-Brume étaient faits d'eau et de brouillard, terrifiants dans leur majesté. Ils ressemblaient à de grands rapaces, de près de sept mètres d'envergure. Imaginez ces êtres prenant leur envol au-dessus des lacs, tandis que les premiers frimas touchaient les rivages. Imaginez ces corps nébuleux fendre l'air. Quel spectacle ce devait être... Mais plus terrifiant encore, imaginez ces mêmes Oiseaux s'élever au-dessus des troupeaux et fondre en piqué sur les bêtes, les saisirent dans leurs serres et les dévorer en vol. Tandis que les Oiseaux attaquaient les pâtures et se rassassiaient, leur corps grisâtre comme la brume se teintait de rouge sang. Quand les créatures ne trouvaient pas leur content dans les prairies, elles attaquaient alors les villages et décimaient les populations impuissantes, secondées par leurs servants, d'immondes Golems de vase et d'eau que les lacs laissaient alors surgir de leurs profondeurs.

C'était une époque de peur et de souffrance...
Nous pourrions croire que, dès la première attaque, les Tigurins auraient pris la fuite, quittant ces contrées verdoyantes et ces lacs majestueux qu'aujourd'hui nous aimons. Mais leur coeur de celtes étaient déjà conquis par ces paysages, ils étaient par trop attachés à cette région. Obstinés, fiers, ils décidèrent de combattre ces fléaux.

Entre chaque attaque, plusieurs années s'écoulaient. Et c'est pendant une de ces acalmies que les Tigurins construisirent l'oppidum du Vully et le mur. La place forte surplombait les eaux, et permettait ainsi de guetter la surface de l'onde. Au moindre frémissement inquiétant, au moindre banc de brouillard qui naissait et persistait trop longtemps, l'alerte était sonnée et les villageois se réfugiaient sur la colline. Si de nombreuses fois, les alarmes retentirent en vain, cinq ans après l'érection du rempart, l'oppidum sauva de nombreuses vies. Les Oiseaux-Brume vinrent, accompagnés de leur Golems, et ne trouvèrent aux abords des rivages aucune nourriture, ni humain, ni bétail. La colère des créatures fut terrible, et on dit que leurs cris résonnèrent jusqu'à Lutèce. Mais la Forteresse n'était pas encore découverte.

Les druides appelés au Pays des Trois Lacs pour libérer définitivement les Tigurins avaient beau chercher, nulle solution ne semblait poindre. Il fallut un évènement des plus malheureux pour enfin trouver la seule arme efficace, la seule arme que redoutaient ces créatures d'eau et de magie. Des traces nous sont parvenues de la bataille que j'évoque. Il s'agit du grand incendie de l'oppidum... Oui, seul un brasier intense pouvait défaire les Oiseaux.
La nuit était tombée, et depuis deux jours déjà, les Tigurins vivaient dans la crainte et le froid, assiégés dans leur forteresse. Le brouillard n'avait eu de cesse de croître et de s'étendre au-dessus des eaux, et tous craignaient que les Oiseaux-Brume ne reparaissent, de la même façon qu'ils étaient venus des années auparavant.
La troisième nuit, le cri lancinant d'une des créatures se fit entendre. Juste au-dessus du mont Vully... Les Celtes levèrent les yeux pour découvrir avec une fascination horrifiée les ailes impalpables les surplomber. Le mur se noircissait de Golems. C'était la nuit, à l'orée d'un massacre, et dans la précipitation, un brasero dut être renversé. Les Oiseaux descendirent en piqué, les flammes montèrent soudain à l'assaut des étoiles avant de s'attaquer à la forêt environnante.
Si de nombreux Tigurins moururent cette nuit là, asphyxiés par la fumée ou dévorés par le feu, il y avait pour la première fois des pertes du côté des créatures des Lacs. Les Oiseaux et les Golems venaient d'essuyer leur première défaite...

Les villageois laissèrent passer deux jours de deuil. Ils enterrèrent leurs morts, promirent de les venger, et se réunirent devant ce que nous avons baptisé le lac de Neuchâtel.  Là, les druides écoutèrent les témoignages de ceux qui avaient vu les Oiseaux-Brume se volatiliser au contact de l'incendie, de ceux qui les avaient vu foncer à travers le rideau de flammes étouffantes sans jamais le traverser. Les hommes de magie demandèrent conseil aux dieux qui étaient les leurs, et déclarèrent ceci :
- Que les Tigurins se mettent en quête des Oiseaux-Feu, par delà les Terres de la Colère, jusqu'à l'île de glace et de volcans où ils demeurent. Que les Tigurins leur demandent aide et protection. Qu'ils aillent humble et sans honte, car leurs ennemis ne sont pas à leur portée et les Oiseaux-Feu n'aideront pas des hommes arrogants.
Et ainsi nos ancêtres helvètes se réunirent, et parmi les habitants de la région, choisirent deux personnes : un homme et une jeune fille. Le premier, Miril, devait protéger la demoiselle, Armiel, car c'est à elle qu'incombait la lourde responsabilité de plaider la cause de son peuple auprès des Phénix islandais. Ils avaient été choisis pour la force d'une part et l'innocence d'autre part. On dit qu'ils partirent un matin, en direction du soleil couchant.
Ils mirent deux ans à revenir.

Ils arrivèrent dans le Pays des Trois Lacs par une nuit sans lune, mais ils allaient sur les chemins comme si le jour les éclairait. Au bras de chacun des Tigurins, un Oiseau-Feu était perché, le regard fier, le port altier. Ils ressemblaient en tout point aux Oiseaux-Brumes, si ce n'était que leur taille était celle des aigles que nous connaissons tous. Leur corps resplendissait de flammes contenues. Les gens se massaient sur le passage d'Armiel et de Miril, silencieux, mais le visage en liesse. Tous comprenaient la portée de cet évènement. Ils n'auraient bientôt plus rien à craindre des lacs qu'ils chérissaient tant.

Les deux Tigurins et leurs compagnons aviens continuèrent leur route jusqu'au mont Vully. Ils montèrent sur le mur, firent face au lac, et comme répondant à une déclaration de guerre silencieuse, le brouillard se répandit à une vitesse inimaginable au-dessus de l'eau.
Les deux Oiseaux-Feu prirent leur envol tandis qu'une vingtaine d'Oiseaux-Brume émergeaient du brouillard. Le ciel accueillit alors une bataille mémorable. Les corps des Phénix s'embrasèrent face à leurs ennemis, et les rapaces gris semblaient disparaître tandis que le Feu gagnait en puissance. Si le combat fut de courte durée, il en fut autrement de la joie des Tigurins.

L'on dit de ces Phénix qui nous libérèrent autrefois, qu'ils continuent de vivre en chacun de nous, nous donnent notre courage et notre force, notre fierté d'être celtes !


Petite histoire : ce texte a été primé au festival "Vully Celtic" 2007. Félicitations Anthony !

Autre info : Anthony, en plus d'être un nouvelliste prolifique (dommage qu'il n'ait toujours pas eu le temps de faire sa biblio... ;-) ) s'est lancé, avec quelques copains, dans le webzinat.
Ca s'appelle le
Codex Poeticus, la ligne éditoriale est la poésie de l'Imaginaire (SFFF), et deux superbes numéros sont déjà téléchargeables.


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