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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 05:59
Borg le Barbare

André Samie


— Tremblez, pauvres mortels, devant la puissance du terrifiant Borg Dents-de-fer, le pourfendeur de dragons, le fléau des mages, le cauchemar des paladins ! Fuyez devant son invincible armée et sa hache vengeresse ! Nul ne peut résister à…

— Qu’est ce tu dis, chef ?

— Hein ? Quoi ?

— Ben, tu disais quelque chose…

— Non, rien. Et arrête de jeter tes crottes de nez sur mes bottes ! Crétin !

Morback le gobelin évita de justesse la baffe de son vénéré chef, Borg le barbare, et se mit hors de portée d’éventuelles représailles. Cela faisait maintenant deux mois que la horde était perdue en plein désert et l’humeur de Borg se faisait particulièrement ombrageuse. L’eau commençait à manquer et les ogres lorgnaient de plus en plus sur les loups des pillards gobelins.

Mais plus que la faim et la soif, c’était l’inactivité qui minait le plus le moral des troupes. Même les cyclopes n’avaient plus goût à pratiquer leur sport favori, le lancer de gob’. Borg, en bon chef de guerre, était conscient de la gravité de la situation et en fit une judicieuse synthèse :

— Beuhar.

 

C’est alors que Bigail, le cyclope le moins myope de la horde, poussa un grand cri :

— Là-bas ! Une caravane !

Borg eut juste le temps de se jeter de côté pour éviter de se faire piétiner par la charge furieuse des ogres, bientôt suivis des cyclopes, des orques et des gobelins. Se relevant, il vociféra :

— KIKI !

Par malheur, son blanc béhémoth, en plus d’être sourd comme un pot, était plongé dans une profonde sieste. L’énorme créature ne daigna pas bouger d’un poil ou d’une griffe. Le fier barbare fut donc contraint de mener la charge irrésistible de ses troupes en courrant derrière.

La bataille fut brève et sanglante et quand Borg, à bout de souffle, réussit enfin à rejoindre son armée, la victoire était totale. Pourtant l’escorte de la caravane était imposante mais les guerriers n’avaient pu opposer qu’une résistance symbolique face à la fureur de la horde sevrée de sang depuis plus de deux mois.

Tandis que Borg s’époumonait à expliquer aux ogres qu’ils devaient laisser passer le chef devant, Morback, son fidèle écuyer, l’interpella :

— Chef, y a un type là-bas qui veut pas se laisser tuer.

— Comment ça ? Quel malotru ! On vit vraiment une triste époque. Bien, allons voir ça.

En effet, un peu plus loin, un homme habillé de vêtements sombres brodés d’argent se dressait face une dizaine d’orques qui gesticulaient de manière pathétique, comme englués dans une toile invisible. Une fois de plus, Borg fit preuve de sa perspicacité légendaire.

— Eh toi le mago, fais pas le rigolo, car très bientôt, j’aurais ta peau !

— C’est beau ce que vous dites, chef.

— C’est pour ça que je suis chef, mon petit Morback.

Le récalcitrant épousseta la poussière de ses robes avant de répondre.

— C’est vous le chef de ce ramassis de brutes sanguinaires ?

— Ouais ! Et mon nom est Borg Dents-de-Fer, le pourfendeur de dragons, le fléau des mages et le cauchemar des paladins !

— Jamais entendu parler.

— Ouais, bon, mais ce n’est pas une raison pour faire le malin. T’es qui toi ?

— Mon nom est Nexus, et comme vous l’avez brillamment deviné, je suis un magicien. J’ai une proposition qui devrait intéresser un puissant chef de guerre comme vous.

Borg gonfla la poitrine et prit une pose avantageuse.

— Je daigne t’écouter, mago. Mais sois bref.

— Je sais où il y a de l’or, de la bière, de la princesse et beaucoup de combat.

— Tope-là, mago ! En route ma fidèle armée ! A nous la gloire, la puissance et la richesse !

Et la troupe se mit en branle dans un très harmonieux désordre.

— Euh… Seigneur Borg ?

— Oui, mago ?

— C’est dans l’autre direction...

— Ne sois pas insolent, je le sais bien. Ils m’énervent ces magiciens à toujours se croire plus intelligents que les autres…

 

C’est ainsi que Borg le barbare s’en alla vers une illustre destinée. Grâce aux conseils avisés de Nexus, la troupe sortit du désert en moins de trois semaines et arriva dans une région verdoyante délicieusement vallonnée comme le creux des hanches d’une jeune pucelle. Enfin du moins c’est ce que se disait Borg, qui décidément avait l’âme d’un poète. Fièrement campé sur le dos de Kiki, le barbare considérait le décor de l’œil du conquérant et imaginait un avenir glorieux.

— Je me taperai bien une mousse, moi. Dis-moi, mago, c’est par où la baston ?

— A cinq jours de marche d’ici. Mon seigneur, le Roi Paulus, est assiégé par l’armée de son grand-cousin par alliance du côté de sa mère, le sinistre Duc Antonius. Il m’avait envoyé, moi, magicien royal, chercher des renforts. Comme vous avez massacré ces renforts, je vous propose de les remplacer.

— Y aura de l’or ?

— Oui, plus que vous ne pouvez l’imaginer.

— De la bière ?

— Oui, et de la bonne.

— Et de la princesse ?

— Pareil.

— Parfait. En route, fidèles compagnons !

 

Le moral des troupes était maintenant au beau fixe depuis l’annonce des futurs combats à livrer. Les orques entonnaient de mélodieux chants de guerre, les ogres avaient aiguisé leurs dents avec beaucoup d’application, les cyclopes jonglaient avec les gobelins et les gobelins en hurlaient de plaisir. Même Kiki semblait de bonne humeur et batifolait avec grâce en pourchassant les papillons. De son côté, Borg élaborait son plan de bataille.

— Bien. La baston en premier. Puis la bière parce que ça donne soif. Puis la princesse. A moins que je garde un peu de baston pour après la bière ? L’or, en dernier, ça c’est sûr. Peut-être la princesse avant la bière ? Ou bien je commence par la bière, parce que j’ai une de ces soifs…

— Chef ! Y a un château là-bas et une armée qui l’assiège.

En effet, au détour de la route, une imposante citadelle sise au sommet d’une colline s’était dévoilée. Les environs étaient noyés sous une marée humaine, visiblement installée ici depuis quelques temps. Fantassins, arbalétriers, machines de guerre, cavalerie lourde et légère et autres paladins avaient aménagé un vaste campement de tentes multicolores surmontées de nombreuses oriflammes. Cette armée avait fière allure et était au moins vingt fois plus nombreuse que la horde de Borg. De nombreuses brèches et fissures fragilisaient les fortifications et il ne faisait aucun doute que le dénouement de cette bataille ne soit imminent.

Borg prit rapidement sa décision. Il allait profiter de l’effet de surprise pour fondre sur sa proie tel un elfe sur un magasin de vêtements moulants.

— En ordre de bataille, fiers compagnons !

— Mais chef ? Ils sont vachement nombreux et ils ont l’air balèze…

— Ahah ! Ils ne résisteront point longtemps face à notre courroux et à notre fureur !

Le puissant guerrier, dressé sur l’encolure de Kiki et brandissant son marteau, s’adressa à ses troupes :

— Fidèles guerriers, le sang nous appelle ! En ce jour glorieux, sous le ciel immaculé, nous allons, courageux compagnons, écrire de la pointe de nos armes une page historique qui restera dans la mémoire de tous ! Face à un adversaire supérieur en nombre, Borg le barbare et sa horde, éreintés par une longue marche forcée, se battirent avec fureur au mépris de leur propre vie ! Et l’adversaire face à tant de bravoure et de détermination ne put qu’opposer une pathétique résistance et fuir tels des moutons face au loup ! Chargeons, massacrons, tuons !

Beuhar ! ! !

Et sur ces mots, Borg chargea les lignes adverses.

— Dis, Morback, il a dit quoi le boss ?

— En fait, j’ai pas tout compris…

— Il a parlé d’écrire non ? Je sais pas écrire moi…

— Il a parlé de moutons… J’en vois pas… T’en vois ?

— Ben non. Où est-ce qu’il va ?

— On dirait qu’il charge… Tout seul…

 

Dans le camp des assiégeants, le duc Antonius cogitait avec son état-major sur l’assaut final. Soudain, un officier, relevant la tête, remarqua :

— Seigneur, il y a un barbare chevauchant un béhémoth qui nous charge. Tout seul.

— Oui, bien sûr. Et les nains boivent de l’eau.

— Mais, seigneur, je vous assure que c’est vrai.

— Quoi ? Mais c’est qui ce crétin ? Viandez-moi ce bouffon !

L’image était saisissante et digne des récits mythologiques. Dévalant la colline, le soleil droit au-dessus de lui, Borg faisait tournoyer son marteau en poussant d’abominables cris de guerre. Il chargeait droit sur les lignes d’infanterie qui s’étaient repositionnées dans la hâte pour réceptionner l’assaut. L’impact était imminent et Borg riait face à ses ennemis. Le sol vibrait sous les puissantes foulées de Kiki dont les monstrueuses griffes labouraient la plaine verdoyante parsemée de jonquilles et de tulipes.

Soudain, le blanc béhémoth freina des quatre pattes, propulsant de véritables montagnes de terre sur les soldats. Il se mit à renifler tandis que Borg lui hurlait dans les oreilles. Et Kiki éternua.

Ce fut une véritable tempête. Les lignes adverses furent soufflées et jetées à terre. Les tentes du camp basculèrent ou s’envolèrent, suscitant un gigantesque capharnaüm. Terrifiés par le vacarme, les chevaux jetèrent à bas leurs cavaliers et s’égaillèrent au grand galop dans la nature. En un instant, l’armée si bien disciplinée du duc Antonius fut plongée en plein chaos. Et Kiki continuait à éternuer de plus belle, réduisant à néant les tentatives des soldats pour l’abattre. Nul, et surtout pas son propriétaire aurait pu deviner que le pauvre animal était particulièrement allergique au pollen de tulipe.

 

Pendant ce temps là, au milieu du campement adversaire, Borg se relevait avec grande peine, les os endoloris. Dès le premier éternuement de Kiki, il avait été désarçonné et projeté au loin en un élégant vol plané. Par chance, sa chute avait été amortie par d’épaisses toiles de tente. Après avoir réajusté son pagne, il réalisa qu’il était encerclé par ce qui semblait être l’état major de l’armée. Il prit alors la fière posture du conquérant, prouvant ainsi qu’il était vraiment un héros digne des légendes :

— Tremblez, misérables vermines, devant Borg le barbare ! Rendez-vous ou subissez mon indomptable courroux !

— Abattez-moi ce guignol !

Non loin de là, la horde de Borg était toujours en train d’essayer de comprendre la diatribe de leur chef. Réalisant que ce dernier mettait une armée en déroute à lui tout seul, ils jugèrent que c’était fort égoïste de sa part et décidèrent d’un commun accord de ne point le laisser être le seul à s’amuser. Les pillards chargèrent en premier, suivis de près par la massive cohorte des ogres. Les cyclopes appliquèrent une technique mainte fois éprouvée et catapultèrent des guerriers gobelins sur les troupes ennemies. Les orques, qui formaient le gros de la troupe, déboulèrent sur les flancs. Complètement prise au dépourvu, l’armée ducale engagea le combat.

La mêlée était féroce et sanglante. En l’absence d’ordres de leurs commandants, les assiégeants se battaient de façon désordonnée. Dans ce domaine, ils ne pouvaient guère rivaliser avec les troupes de Borg. Cependant, l’issue de la bataille restait indécise car l’ennemi bénéficiait de l’avantage du nombre. Ce n’est que quand les cyclopes chargèrent, après avoir lancé le dernier gobelin, que la victoire sembla se dessiner.

Pendant ce temps, Borg, très contrarié d’avoir été traité de guignol, se battait tel un démon. A grands coups de marteau, il fracassait les cranes, brisait les membres et broyait les articulations. Les corps s’accumulaient à ses pieds et il fut bientôt recouvert du sang de ses adversaires et de ses multiples blessures. Plus personne n’osait l’approcher. Essuyant le sang qui lui coulait sur les yeux, il vit qu’il était cerné par une dizaine d’archers. Le duc Antonius le regardait d’un air sardonique :

— Alors, guignol, on fait moins le fier ?

Soudain, le visage de Borg se transforma et une expression de peur apparut. Il balbutia :

— Non… pas ça… non… pas encore…

— Ahah, tu trembles de peur, misérable vermisseau !

— Non…NON KIKI ! ! !

D’un puissant bond, le béhémoth rejoignit Borg. Le sol vibra sous l’impact de la titanesque monture. Tout heureux d’avoir retrouvé son maître, Kiki lui témoigna son affection à grands coups de langue. Tout englué dans un liquide poisseux, le barbare vociférait :

— Arrête ! Ça suffit ! Oui… oui… moi aussi je t’aime !

Il réussit enfin à se dégager de l’étreinte de son fidèle compagnon.

— Kiki ! Tu as écrasé le général ennemi ! Pousses ta patte. Ah ben non… il est vraiment tout cassé. Il n’y a plus rien à en tirer, même en le rafistolant un peu. Et mon combat final avec le héros adverse sur une montagne de cadavre ? Ah quelle déception !

La nouvelle de la mort du duc se propagea comme un feu de broussaille à travers toute l’armée et bientôt elle se rendit à la horde victorieuse. Le magicien Nexus qui avait suivi toutes ces péripéties de loin, s’approcha et félicita le seigneur de guerre :

— Bravo ! Quelle magnifique bataille ! Je n’en crois pas mes yeux. Venez, que je vous présente à mon roi. Au fait… ne voulez-vous pas prendre un bain avant ?

— Pour quelle raison devrai-je m’infliger cette torture ?

— Disons que votre accoutrement de tripes, boyaux et fragments de cervelle n’est guère séant.

— C’est la preuve de ma bravoure !

— Certes. Je ne doute pas que le roi y soit sensible. Toutefois, je crains que les princesses ne soient d’un autre avis.

— Si tu me prends par les sentiments, mago, je ferai donc cet effort.

 

La horde fit son entrée dans la cité du roi Paulus sous les acclamations de la foule. S’ensuivit moult ripailles et perçages de fûts de bière. La cour royale rendit les honneurs à la vaillance et à la témérité de Borg. Les dernières réserves de nourriture disparurent cette nuit là et le banquet fut prodigieux. Tard dans la nuit, Borg, harassé et fourbu, patientait allongé sur un lit dans une somptueuse chambre. Une magnifique jeune fille entra et s’approcha.

— Mon héros…

— Ma princesse…

— Quelle impressionnante musculature…

— Mouiiii…

— Quel torse viril…

— Mouiiii…

— Quelles larges épaules…

— Mouiiii…

— Quelles belles cicatrices….

— Mouiiii…

— Quel fier visage…

— Mouiiii…

— Quelle jolie enclume…

— Hein ?

— SBLAM !

 

Quand Borg émergea de son sommeil, le soleil était haut dans le ciel et dardait ses impitoyables rayons sur le désert. Se relevant, il discerna les survivants de son armée éparpillés autour de lui. En peu plus loin, Kiki ronflait bruyamment. Tandis que le barbare massait l’énorme bosse qui ornait son crâne, le fidèle Morback tituba vers lui.

— Quelle fiesta !

— Et quel mal de tête. Qu’est-ce qu’on fait là, Morback ?

— Je ne sais pas. On dirait bien qu’on a été floué par ce fourbe de mago.

Borg éclata de rire.

— Quelle importance ? Cette bataille restera à jamais dans les légendes et c’est bien l’essentiel !


 


 

 

 

 

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commentaires

A
j'arrive un peu tard, mais voici une histoire d'héroïc fantasy qui me réjouit l'âme !!!
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T
Merci à toutes et à tous !<br /> <br /> Borg est ravi de vos commentaires qui lui inspirent un grand beuhar de plaisir ! ;o)
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A
excellentissime j ai rit tout le long de l aventure de ce chers Borg !<br /> Une suite s impose ;)
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D
Waou... merci pour ce texte, j'ai beaucoup aimé... Borg me ressemble tellement !!!
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N
Avec une pensée de sympathie pour Kiki et son rhume de printemps (saleté d'allergie!), bravo! Un texte rafraîchissant, malgré l'odeur des tripes et des boyaux! ;-)
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