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29 mai 2008 4 29 /05 /mai /2008 08:25

Si on l'appelait la ville

Michel Vanstaen


Je sors du cabinet de la ministre. Ce n’est pas que j’ai du mal à mettre un pied devant l’autre. En fait, je suis assis dans le métro. Par contre, j’ai un peu de mal à mettre un mot derrière l’autre, et le tout en pensée. J’ai accès à pratiquement tous les documents concernant la ville, toutes les portes doivent s’ouvrir à l’énoncé de mon nom (toutes, je demande à voir), les péages étant programmés pour m’ouvrir grand les bras. L’entrevue n’a guère duré. Simplement le temps a un fifre de donner ses instructions à un sous.
 (-fifre... pardon !).
 L’étrange pourtant est présent, tapi dans l’essence même de son ombre. Je passe bien cinq minutes à me demander quelles bonnes raisons pourraient pousser l’étrange à se configurer une ombre, faillis me dire des choses et choisis de revenir à mon nouveau travail.
La question a été simple, la ministre l’a posé en termes simples qui sous-entendent que la réponse ne le serait pas. Et me voici parti avec sous le bras cette bonne vieille question des familles qui n’aurait pu être que routine, mais que quelques regards placés sous quelques mots clés avaient rendue plus que mystérieuse.

La puissance du regard et ma première rencontre avec « une » membre du gouvernement m’auraient-elles troublé ? Non, et cela hurle là-dedans (« dans de moi »), non, je n’avais pas été le leurre de mes sens. Ce genre de certitude qui ne s’appuie sur rien de concret, mais que rien ne peut faire douter. Notre chère ministre m’avait dit entre les mots : « Va, trouve et discret pour la réponse ! ».
Notre ville compte 3 253 850 224 habitants et couvre les deux tiers de la planète habitable. Son développement s’est déroulé uniformément. Telle la fuite du robinet, la population fit tache et se répartit sur une superficie adéquate à la tache. Et ce durant un temps que l’on peut qualifier de « c’est pas demain qu’on verra le bout de la veille où çà a commencé ! ». Evidemment, ce genre de phénomène ne pouvait s’éterniser. Aussi, tous les gouvernements successifs s’attelèrent au boulot. Et victoire de la politique tonitruante. Ou miracle. Ou ce qu’on voudra. Un beau jour, la population se stabilisa. Inutile de dire que les gouvernants en place à ce moment ont vu leur avenir, …au moins, eux, ils l’ont vu.
Donc tout est pour le mieux dans le machin du truc quand survinrent ma ministre et son grain de sable spatio-temporel. En fait, pour elle, cela ne colle pas, cela ne peut pas être aussi simple. Quelques plans de procréation assistée dans le sens que l’on veut, et l’affaire est pliée. Non, pas à une telle échelle. Au plus une ville grandit, au plus  les paramètres qui la régissent se multiplient de façon exponentielle. Et plus les interactions deviennent insaisissables. Voilà résumé le point de vue ministériel. A moi de trouver la fin de la phrase : « le début étant ce qu’il y a de plus simple : Pourquoi ? ».


***

Me voilà donc plongé dans les archives. J’ai pensé que comme début, cela en valait bien un autre. Seulement l’ampleur de la tâche me laisse quelque part par là. Il me faut une stratégie de recherche. La corrélation entre la montée de la population, le tissu socio-culturo-pastoujoursbo-économique, et toutes les choses qui se produisent surtout quand on n’a pas besoin d’elles, va me servir de base de départ.
Quelques semaines plus tard, une idée assez précise de la situation a fini par voir le jour. C’est très simple : j’y comprends rien ! Non pas que je patauge. Disons que j’ai la sensation de nager à reculons. Bien que pour remonter le temps, la méthode peut faire ses preuves.
 Rien d’exceptionnel n’était sorti de ces milliers de documents, numériques ou pas, poussiéreux ou pas, triés ou pas, ou pas, ou pas, ou pas. Rien de rien de pas grand-chose. Un simple aperçu de ce que je perçois comme la partie visible, soupçonnant que l’invisible en rigole encore.
En vérité, la ville avait évolué de bric et de broc au gré des fluctuations économiques, suivant une courbe que rien n’avait fait dévier d’une bonne vieille courbe ascendante. Toute l’infrastructure, les communications, les « télé » du même nom s’étaient mises au diapason avec plus ou moins de réussite. Les politiques semblaient avoir toujours été les dénominateurs communs des changements majeurs. Rien de surprenant. L’évolution avec un é comme évolution.
Pourtant, je reste sur ma faim, l’impression au ventre de tourner en rond dans la normalité la plus absolue.
Je sens qu’une décision s’impose. Entre deux cafés, la nature de celle-ci me saute aux yeux. Je dois y aller de moi-même, arpenter la ville, la toucher, la respirer, devenir une sorte de confident intime. Je dois explorer, voir comme la première fois, disparaître pour mieux ressentir les émotions. Du coup, je me sens une énergie nouvelle. Par où commencer ? Noyé sous le trop plein de l’exaltation, je manque partir au feeling, là où mes pieds me mèneraient. J’eus beau attendre, rien ne bougea. Ce fut un espoir fou. Le vieil adage ne dit-il pas « que sans la tête, les pieds, c’est pas le pied ! » ?
Le centre historique sera ma première destination. Ville crucifiée dans la ville, elle en fut l’instigatrice autant que la mémoire. Du contact velouté de ces vieilles pierres, j’attends peut-être l’illumination, ou du moins une piste.
De train en voiture, de métro aérien en souterrain métro, je me heurte à ce panneau sculpté dans le granit : « Ici, tout commença. Voyageur, imprègne-toi de mille siècles de vent et de soleil ». Justement, jamais rappel publicitaire ne m’avait aussi bien collé à la peau. Je m’imprègne ! Je m’imprègne ! Je m’imprègne !
Je marche la tête collée à la lucarne de mes espoirs. J’arpente des voies, des ruelles, j’essaie de ne penser à rien, de me laisser pénétrer par tout ce qui accepte mon hospitalité. Je croise des monuments, de toutes formes, de toutes époques ; églises, temples, ruines, je feuillette un immense ouvrage dont chaque page est recouvert du scintillement de centaines de milliers de grains de temps. Je regarde les maisons, ateliers et autres ; les toits usés et tarabiscotés semblent en échange permanent avec les cieux. Je participe à des visites organisées, mais le plus souvent, moyennant finance, je suis lâché seul dans tel ou tel endroit. Je ne sens plus mes jambes, mes pieds font corps avec les pavés, tous mes sens sont en activité permanente, la tête ne gérant plus rien, se contentant de ressentir.
Le jour commence à décliner. Je tourne un coin de rue pour me retrouver nez à mur avec un bâtiment qui, à première vue, n’a rien d’extraordinaire, mais qui me stoppe net. Va savoir pourquoi ! Il y a des messages qui n’ont rien mais qui se suffisent à eux-mêmes. Une ouverture légèrement de guingois, un peu sur ma droite ; une porte à peine entr’ouverte, que seule ma position permet de remarquer, et me voici à l’intérieur.
Une cour de petites dimensions s’ouvre sur trois portes. Curieusement, je choisis celle de droite sans même me poser la question ; la fatigue d’une journée de marche. La pénombre me surprend. Quelques secondes d’adaptation et je m’imagine dans un autre espace. Nul bruit, nul odeur, rien de l’extérieur n’a pénétré ses murs depuis,…, va savoir ! Je me sens, comment dire, reposé, physiquement et moralement. Ici, les miasmes du réel côtoient les ombres de l’intangible. Dois-je avoir peur ? Et pourquoi est-ce que je me pose cette question ? Sans doute pour l’évacuer et être plus réceptif ? Ce que je ressens est un curieux mélange de sérénité inavouée, de curiosité, et d’une sensation étrange de ne pas être seul, mais pas au sens physique du terme. Je ne peux empêcher mes mains de toucher les murs, comme un trait d’union entre ce présent et un autre, enchâssé dans les illusions du passé.
Brusquement, je me retrouve dans la rue, sans la moindre conscience du chemin parcouru. Je suis ébranlé, sans vraiment me l’avouer. Il me faut un moment pour vérifier si, de la tête aux pieds, je suis au complet. Et surtout pour retrouver ma route, la même qu’à l’aller ; alors pourquoi ce paradoxe ?
Ma chambre d’hôtel me semble d’un coup tellement reposante. Je m’allonge, les yeux paralysés dans l’encadrement de la fenêtre. Le sommeil s’insinue par tous les pores de mon corps. Un dernier éclair pour me demander quelle heure il peut bien être, me penser que je m’en fous. Et à la ligne.


***

Je sillonne la ville de sous-ville en sous-ville, de quartier en quartier, de place en parvis, de boulevard en ruelle, de tout, de rien, d’ici, de là, de nuit, de jour, de frimas en soleil, éveillé, endormi, ivre (ce qui dénote quel soin j’apporte à appréhender le problème sous tous ses aspects). Je suis crevé. Aucun moyen de transport n’a de secret pour moi. J’ai l’impression d’être le double cartographié de toutes ses étendues parcourues. J’ai vu tellement. J’ai écouté tellement. Je me suis immergé dans les moindres couches de la société (Est-ce décent de traiter les gens de couches ?).
Et je me retrouve chez moi, après je ne sais plus combien de mois d’errances. La logique aimerait que je me lance de suite dans un condensé de mes réflexions avec conclusion à la clé. Je n’ai qu’une envie. Ne plus voir les rues bouger, les maisons s’effacer, les si passer là, les ici n’en plus être l’instant d’après. Arrêtez de bouger. Stop !!!

Je sais pertinemment que je dois laisser reposer jusqu’à la moindre parcelle emmagasinée, n’en retirer que la manne. Après, on verra !

 

 

(suite)

 



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