Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de l'Antre-Lire
  • : 'zine littéraire - Lecture (sur le web)- Ecriture - Auteurs et textes en tout genre et pour tout genre (humains, enfants, poètes, loups, babouks...)
  • Contact

Recherche

2 novembre 2008 7 02 /11 /novembre /2008 07:23


Etrange canopée

Jean-Philippe Drécourt


Cette charpente avait été abandonnée sur le flanc de la montagne, dans une prairie où chaque été paissaient quelques maigres chèvres. La légende disait qu’un temple devait se construire là, mais que le village avait connu des années difficiles. Ces années n’étaient pas terminées, et le squelette de toit, trop vieux pour être transporté, était devenu une sorte de point de repère dans le paysage.


Une année, alors que je rendais ma visite annuelle, les villageois me demandèrent de bénir cette ébauche, pour qu’ils aient malgré tout un temple pour vénérer les divinités de la montagne, un endroit sacré où se recueillir et prier pour des jours meilleurs. J’avais finalement accepté après de longues hésitations. Malgré ma profession de mage et de guérisseur, j’étais réticent à donner de faux espoirs à une population hagarde et famélique pour laquelle l’hiver aurait dû être fatal.


Je ne sais si c’est la bénédiction, ou la conviction des habitants, mais lorsque je retournai l’année suivante, la charpente avait pris vie. Protégée par le liseron qui au cours des années l’avait étreinte de ses tiges fines, le bois s’était réveillé. De petites branches sortaient des angles durs des chevrons. Puis d’année en année, des bourgeons, des fleurs, et même des fruits. De la même façon que la charpente prenait vie, le village retrouvait peu à peu sa santé. Je rencontrais moins de maladies, plus de jeunes enfants joyeux qui s’émerveillaient lors de mes modestes feux d’artifice.


Je pris goût à m’introduire dans la grotte sombre que les branches entrelacées avaient créée en suivant la structure de la charpente. Je restais allongé dans une petite alcôve naturelle à écouter les oiseaux qui rejoignaient leurs nids et les insectes qui grouillaient entre les branches. Chaque année, il m’était de plus en plus difficile de sortir pour retrouver la clarté du monde extérieur.


Aujourd’hui, je reconnais enfin que cette charpente vivante n’est pas un temple mais mon lieu de dernier repos. Toutes ces années à déambuler dans la montagne et à dispenser mon savoir de mage et de guérisseur ont touché à leur fin. J’ai terminé mon voyage, je suis arrivé. Une dernière fois, en m’aidant de mon bâton, je me glisse entre les branchages. Ma couche est là, un creux dans le sol qu’une épaisseur supplémentaire de feuilles mortes rend chaque année un peu plus confortable. Je m’allonge et j’admire la constellation formée par les quelques rayons de lumière qui traversent la canopée. Une dernière inspiration, je m’imprègne de l’odeur hospitalière de la tourbe. Je repense à tout le bonheur que j’ai dispensé. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Un dernier soupir. Retour aux sources.


En savoir plus...  : Jean-Philippe est trouvable sur son site

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2008 4 30 /10 /octobre /2008 17:05
Jeff Laraclure
(fin)

André Samie


C’est une nuit sans lune. Une nuit parfaite pour un assassin. Sans un bruit, Jeff Laraclure s’avance dans les couloirs du palais du Prince. Les vétérans du Roi lui ont rendu son précieux matériel et il porte sur lui de quoi donner la mort de cent manières différentes. Pénétrer à l’intérieur du bâtiment n’a été qu’une formalité. Maintenant qu’il s’approche des appartements princiers, les gardes se font plus nombreux et Jeff doit mettre à profit tout son savoir-faire. Se dissimuler est une seconde nature chez lui et, depuis son enfance, il est bien plus familier des ombres que de la lumière.

Il arrive enfin en vue du couloir passant devant la porte de la chambre du Prince. Il est brillamment éclairé et deux guerriers en armure montent la garde. La distance est de quatre mètres et Jeff n’a droit qu’à une seule chance. Il s’avance. Les deux hommes ouvrent la bouche, mais il est trop tard pour eux.

Les deux dagues lancées avec une précision diabolique se sont fichées dans leur gorge. Le venin de Gorgone agit à une vitesse fulgurante et leur peau prend la texture de la pierre. Ils restent figés sur place, statues sans vie. Pas un bruit. Si ce n’est le souffle de Jeff. Il s’approche de la double porte en chêne massif. Elle est fermée à clé de l’intérieur et deux autres gardes se trouvent dans l’antichambre.

L’assassin sort de son sac une poire en cuir ciré se terminant par un long tube en boyau de porc. Il glisse délicatement l’extrémité sous la porte et, pressant la poire, casse la fiole de gaz qui se trouve à l’intérieur. Le poison mortel va s’infiltrer dans la salle et neutraliser les soldats. Jeff espère que ceux-ci seront assis quand ils sentiront les premiers effets de la toxine. La chute de leur corps pourrait alerter le Prince. Il compte lentement jusqu’à cent. Toujours pas de bruit. La chance est avec lui.

Il s’attaque alors à la serrure qui ne résiste pas bien longtemps à ses mains expertes. Tous ses sens en alerte, il entrouvre les battants en prenant le soin de retenir sa respiration. Bien qu’il soit immunisé depuis longtemps au poison qu’il vient d’utiliser, il ressent toujours une légère appréhension. Les gardes sont bien là et ont succombé. Tout se passe comme prévu. La partie la plus facile reste à faire.

Enfin, il pénètre dans la chambre à coucher du Prince. L’homme est allongé dans son lit, plongé dans un lourd sommeil. Jeff sort la fameuse dague. Au moins, sa victime ne souffrira point. La lueur d’une chandelle fait jouer de sanglants reflets sur la lame et dans les yeux impassibles du tueur. Le sang écarlate gicle sur les draps blancs. Le Prince passe du sommeil à la mort en silence.


La nuit est bien entamée quand Jeff est de nouveau accompagné par les soudards du Roi dans la salle du trône. L’impitoyable monarque est seul, penché en avant et plongé dans une profonde réflexion. Il lève la tête quand ses hommes encadrant l’assassin font irruption. Il leur adresse un bref signe de tête. Brutalement, ils désarment Jeff et le privent de son équipement. Le scélérat n’oppose aucune résistance. Il s’approche du trône et lance aux pieds du Roi un sac poisseux. La besace roule sur le marbre et délivre son sinistre contenu. Le souverain plonge son regard dans les yeux vides de son frère. Un sourire sans joie se dessine sur ses lèvres.

- Bien. Tu es un homme efficace Jeff Laraclure.

- Je ne fais que mon travail.

- Mais tu vas mourir.

- Vous m’avez promis l’antidote.

- Je n’ai rien promis. J’ai réfléchi et je préfère te regarder mourir à petit feu.

Jeff relève la tête et, pour la première fois, son regard se fixe dans celui du Roi. Ses yeux noirs n’expriment rien. Le monarque frissonne. Le condamné parle lentement, d’une voix détachée, comme si cette affaire ne le concernait déjà plus.

- On ne joue pas avec un Maître Assassin, Roi. Dans le domaine de la mort, c’est moi qui mène la danse.

- Que dis-tu ?

A ce moment, des cris retentissent. Le Roi a à peine le temps de se lever et de se saisir de sa lame, que la lourde porte s’ouvre en grand, laissant la place au Juge Suprême entouré par les gardes du Grand Conseil. Les fidèles du Roi se saisissent de leurs armes. Le Juge pousse un cri.

- Roi ! Quelle est donc cette trahison ?

Le vieil homme aperçoit le macabre trophée gisant toujours aux pieds du Roi.

- C’était donc vrai ! Gardes ! Par ordre du Grand Conseil, saisissez-vous du Roi ! Il est coupable d’assassinat sur la personne du Prince.

Consterné, le Roi répond rageusement.

- Quelle est donc cette mascarade ! Je suis le Roi et je règne en maître !

Les gardes s’avancent mais se heurtent aux fidèles. En un instant, la salle du trône est le théâtre d’un sanglant carnage. Mais les soldats consulaires sont de plus en plus nombreux et bientôt le Roi est emprisonné. Le visage tordu par la fureur, il est amené face au Juge Suprême.

- Vos accusations ne tiendront jamais ! Et je vous ferai alors torturer et écarteler.

- Vos menaces ne changeront rien. Nous avons le témoignage de votre épouse, la Reine.

- Comment ?

La Reine apparaît alors sur le seuil de la grande salle. Son visage ruisselle de larmes et elle a l’air bouleversée.

- Traîtresse ! Mais qu’as-tu fait ?

- Mon amour ! Tu es allé trop loin… tuer son propre frère ! Je ne pouvais pas laisser faire cela… j’aurai pu être la prochaine…

- Mais tu étais là ! Tu n’as rien dit !

- Je suis désolée, mon amour…

Le Juge Suprême intervient.

- Tout est fini, Roi. Vous allez être jugé, destitué et condamné. C’est la fin de votre règne. La Reine assurera la régence. Gardes ! Amenez-le ! Et emparez-vous de son homme de main !

Mais les soldats ont beau chercher, Jeff Laraclure a disparu.


La Reine est dans ses appartements, assise sur le bord de son lit, un mince sourire de satisfaction sur les lèvres. Elle profite du calme de sa chambre après le tumulte de cette nuit. Un courant d’air la fait frissonner. Elle sent une froide présence près d’elle. Levant le visage, ses yeux se fixent sur l’ombre qui se tient debout à ses côtés.

- Tu as tenu tes engagements, Jeff. Je te félicite. Grâce à toi, je peux enfin régner seule.

- Je respecte toujours mon contrat. Jusqu’au bout. Si vous voulez bien me donner l’antidote avant que nous ne réglions les détails de mon paiement.

- Oui, bien sûr, mon cher. Je sens que cette nuit marque le début d’une étroite collaboration.

Après avoir examiné le liquide contenu dans la petite fiole de cristal, Jeff l’avale d’un trait. La Reine s’approche et se colle à lui. A travers les vêtements, il sent la chaleur de son corps qui le brûle comme un brasier. La Reine lui parle dans un souffle.

- Je te propose un petit acompte. Laisse-moi te soulager de l’angoisse de cette journée…


Jeff fixe le plafond richement décoré de la chambre royale. Il a remis ses vêtements et s’est allongé sur le lit, près du corps sans vie de la Reine. Perdu dans ses pensées, il se redresse quand la porte s’entrouvre. Reconnaissant le visiteur, il rassemble ses affaires et se dirige vers la fenêtre.

Le Juge Suprême s’approche du corps de la Reine.

- Quelle tristesse. Accablée de remords et de douleur, la Reine s’est donnée la mort. Nous observerons une semaine de deuil en son honneur et en celui du Prince. Le pauvre ! C’était le seul innocent dans cette macabre histoire.

Le vieil homme se retourne vers l’assassin.

- Vous pouvez être fier de vous, votre plan a parfaitement fonctionné. Grâce à votre intervention, la famille royale n’est plus. Le Grand Conseil va prendre la régence, faire durer en longueur le problème de la succession et mettre en place la République dans la douceur. Nous pourrons enfin nous consacrer au bien-être du peuple et au progrès social.

Jeff hausse les épaules.

- Epargnez-moi votre baratin de politicien. Je veux être payé.

Le Juge a un rire de mépris.

- Oui bien sûr. C’est tout ce qui compte pour vous. Tenez. Avec les joyaux contenus dans cette bourse vous pourrez vous acheter un petit royaume loin d’ici et prendre votre retraite.

L’assassin s’empare de l’escarcelle et en vérifie le contenu. Avant de disparaître, il se retourne vers le Juge et, d’une voix vide d’émotion, lui adresse quelques mots.

- Ma retraite ? Tant que des gens comme vous existeront, j’aurai toujours du travail.




Petite histoire : André est l'un des habitants de l'Antre-Lire. Ce texte y est à paraître.


Partager cet article
Repost0
29 octobre 2008 3 29 /10 /octobre /2008 06:29
Jeff Laraclure
André Samie


Assis dans un coin de sa cellule, Jeff Laraclure médite sur le funeste sort qui l’attend. La prochaine fois qu’il verra le soleil, ce sera pour marcher vers l’échafaud. Il a pris un énorme risque en pénétrant dans les appartements royaux pour tenter d’assassiner le Roi et ce dernier n’a été sauvé que par l’intervention de la Reine.

Dans un sinistre grincement, la porte du cachot s’ouvre. Trois gardes patibulaires s’avancent avec un luxe de précaution. Jeff n’est pas un amateur et sa fourberie est devenue légendaire. Sans un mot, les soldats lui entravent les mains et les pieds avec de lourdes chaînes. Jeff se laisse faire. Une profonde détermination se lit dans ses yeux sombres.

La clameur de la foule et la lumière éblouissante du soleil le sortent de sa rêverie. Il est dans la cour du château et devant lui se dresse la silhouette de l’échafaud. Encadré par les soudards du Roi, il s’avance lentement. Tout ce que le royaume compte de personnalités s’est rassemblé pour l’exécution d’un criminel de sa renommée. Sur le large balcon surplombant l’esplanade, Jeff peut apercevoir le Roi au visage sévère, la Reine aussi belle que séduisante, le Prince, frère du Roi, et, à la tête du Grand Conseil réuni au complet, le Juge Suprême aux yeux sages.

Enfin parvenu sur la plate-forme en bois, Jeff observe la populace avide de mort qui s’étend à ses pieds. Les cris hostiles et moqueurs se sont tus et, dans le silence, le Juge Suprême prend la parole.

- Jeff Laraclure, vous allez être exécuté ce jour par la volonté du Grand Conseil et celle du Roi. Telle est votre punition pour vos crimes innombrables. Bourreau, le condamné vous attend.

Jeff reprend son souffle. L’angoisse le submerge quand l’homme cagoulé de rouge lui passe la corde autour du cou. Il pousse alors un grand cri.

- Roi ! Je vous supplie de m’épargner pour le moment ! J’ai d’importantes révélations à vous faire !

La voix tranchante du redouté monarque fait taire le brouhaha provoqué par les paroles du scélérat.

- Qu’as-tu à me dire, misérable ?

- J’accepte de vous révéler le nom de mon commanditaire.

- Par trois fois, tu as refusé de le faire.

- Je n’avais pas la corde au cou, Roi.

- Parle et je déciderai de t’épargner ou non.

- Non, mon seigneur. Je ne peux révéler ce nom qu’à vous et à vous seul.

Le Juge Suprême intervient et chacun de ses mots claque comme un coup de fouet.

- Insolent ! Comment oses-tu poser des conditions ? Tu as cent fois mérité la mort et la pendaison n’est que la plus douce d’entre elles !

Dans le même temps, la Reine se penche vers son époux et lui murmure quelques phrases. Le visage de ce dernier reste un moment indécis puis une ferme résolution se dessine sur ses traits.

- J’accepte ta requête. Mais saches que cela ne signifie pas que ta vie est sauve.

Les cris de déception de la foule se sont évanouis derrière les portes de la salle du trône. Toujours encadré par les plus fidèles soldats du Roi, Jeff Laraclure fait maintenant face au couple souverain. Il est tendu et tous ses sens sont en alerte. Sa vie est en jeu et il va devoir se montrer convaincant. Il a souvent frôlé la mort mais il ne l’avait jamais contemplée d’aussi près.

- Bien. Je t’écoute et sois persuasif. Pour moi, tu es déjà mort.

- Mon commanditaire est le Prince, votre propre frère.

- Imbécile ! Et tu penses que je vais croire cette idiotie. Jamais mon frère n’oserait faire une telle chose. Il n’en a ni la volonté, ni le courage.

- Il est soumis à votre autorité. En apparence. Vous savez parfaitement que nombreux sont les nobles et membres du Grand Conseil à apprécier le Prince. Même le Juge Suprême n’a jamais caché sa sympathie pour lui. Il est plus facilement manipulable et a une image favorable auprès du peuple. Il n’a ni votre poigne, ni votre intelligence. Pour beaucoup, son accession au trône serait un compromis qui satisferait les nobles partisans de la royauté, le peuple, l’opposition républicaine, les philosophes et le Culte.

- Tout cela, je le sais déjà. Et je ne m’en soucie guère. Je suis inattaquable. Tu n’as aucune preuve.

- Avez-vous vu l’arme que je portais cette fameuse nuit où j’ai pénétré dans votre chambre ?

- Non.

- Faites-la amener ici et tout s’éclairera.

Après un moment d’hésitation, le Roi fait un signe à un de ses gardes. Quelques instants plus tard, ce dernier revient avec l’objet en question, une dague forgée du meilleur acier, incrustée d’or et de joyaux et portant le blason de la famille royale. Le Roi l’examine et son regard vacille d’incertitude.

- Cette dague…

- Est celle que votre défunt père a offerte à votre frère tandis qu’il vous remettait le sceptre royal. Le lot de consolation du Prince.

- C’est impossible ! Depuis tant d’années… jamais je n’aurai cru…

- Vos ennemis ont exploité votre seule et unique faiblesse : votre frère.

Le Roi reste un long moment prostré. Jeff transpire. Il danse sur la lame du rasoir et le moindre souffle peut provoquer l’inéluctable. Petit à petit la consternation du Roi laisse place à une rage froide. D’une voix grondante il s’adresse à ses gardes.

- Amenez-moi mon frère et si ses hommes opposent la moindre résistance, passez-les tous au fil de l’épée.

- Si vous me permettez, Roi, vos opposants n’attendent que ça. Tout ce que vous risquez en ne prenant pas de précautions est une révolte et une sanglante guerre civile. C’est pour cette raison qu’il m’a engagé. Un assassinat propre et net. Beaucoup de bruits, de suspicions mais sans aucunes preuves, aucunes conséquences.

- Je vois où tu veux en venir, ordure. Tu veux sauver ta peau ?

- Oui. Quelle que soit ma victime, je ne fais pas de différences.

Le Roi reste indécis. Il se penche vers son épouse et lui glisse quelques mots.

- Ma chère, toi qui sais lire dans le cœur des hommes à livre ouvert, que penses-tu de tout cela ?

La jeune femme au regard bleu acier sourit en détaillant l’assassin. Elle se lève et s’approche de lui. Elle lui caresse le visage, hume son odeur, goûte la sueur qui coule le long du cou du maître assassin. Jeff reste pétrifié. La Reine revient à sa place, un sourire carnassier sur ses lèvres de sang.

- Mon amour, cet homme transpire la peur. Mais il dit la vérité. Il est prêt à tout pour sauver sa misérable peau. Il vous lècherai les pieds si ça pouvait l’aider.

- Ça pourrait être une idée mais ce n’est pas le moment. Un assassinat… pourquoi pas ? Finalement, ce n’est que justice. Bien. Ramène-moi la tête de mon frère et tu auras la vie sauve. Et pour m’assurer de ta fidélité, mes gardes vont t’inoculer un poison. Si au lever du soleil, tu ne reçois pas l’antidote, tu mourras.

- Comme vous voulez, Roi. Je n’échouerai pas. Cela sera fait cette nuit même.

Tandis que les soldats le libèrent de ses entraves, Jeff reprend son souffle. Il a su jouer cette partie avec talent mais il lui reste beaucoup à faire pour sauver son existence. Le poison coule maintenant dans ses veines et le temps lui est compté. Tandis qu’il recule sans quitter les soldats des yeux, le Roi le rappelle.

- Prends cette dague et tue-le avec.

- Je le ferai, Roi.

(à suivre)

Partager cet article
Repost0
26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 08:26

Dans les brumes de l’aube irisées de vapeurs délétères, la décharge dort encore. Glap pointe hors du terrier son museau aux yeux éveillés. La lueur de ses crocs est encore perceptible dans l’ombre du baril qui abrite le Clan mais le raton ne s’en inquiète pas : le Territoire est sécurisé depuis plusieurs jours et personne ne le prendra pour cible. Son souci est plutôt de ne pas faire de bruit, le gibier qu’il chasse ce matin est aveugle mais loin d’être sourd. Glap se coule dans le sentier qui descend aux marais. Pattes avant droite et arrière gauche, pattes avant gauche et arrière droite. Souple. C’est dur de ne pas trottiner mais l’impression de glisser n’est pas désagréable.

Il arrive à la première flaque de mazout. Elle a la bonne consistance et la sombre luisance requise mais les bulles qui éclatent à sa surface ne contiennent pas le parfum désiré. Glap continue sa progression silencieuse. Il dédaigne certaines mares, en inspecte d’autres avec espoir. Enfin, il trouve.

Il se dresse sur son arrière-train, respire longuement plusieurs fois : s’il rate, s’en est fini de la chasse au ver-fuelé pour la journée. Vide dans sa tête, pas un frémissement de moustache, gueule entrouverte. Il plonge. Ses crocs fouissent, ses pattes palment et évacuent la boue. Pas le temps de penser. la truffe heurte une chose moelleuse, les incisives agrippent, les défenses crochètent, les griffes lacèrent.

Glap émerge dans le matin venu, la vie du Clan dans la gueule.

Au dessus de lui, une armée de graines de pissenlit fait voiles dans la brise. Elle part conquérir le béton de l’ancienne espèce dominante.



Petite histoire :  Ce petit texte, écrit sous le pseudo de Géraldine a participé à un jeu-concours du site  AudioLivres.org . Il s'agissait, en un maximum de 2000 signes, de raconter une histoire en utilisant certains mots : nature, voile,... (euh, en fait je ne me souviens plus des autres. ^^).

Il a été enregistré et vous pouvez l'écouter à partir du lien ci-dessus.

Partager cet article
Repost0
23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 11:11
                                                      (photo DV)



Et il resta là, surplombant les villes et les hameaux, à la croisée des chemins, au-dessus de lits et de perrons, dans de sombres salles gorgées d’or. Il resta là comme l’avaient laissé ses bourreaux, pour les siècles des siècles, cloué.


Jacques Fuentealba



En savoir plus...  :  

Cette micro-nouvelle provient du recueil de Jacques Fuentealba, Invocations et autres élucubrations, qui est disponible sur Net aux Ediciones Efimeras (une version en espagnol est également disponible).

Partager cet article
Repost0
20 octobre 2008 1 20 /10 /octobre /2008 07:23
                                                                          

Copié ?


Elle a vécu Martha la jolie concubine
Son beau corps a roulé en bas de la cabine…

Oui, je sais c’est copié, mais il faut bien parfois
S’inspirer d’un génie quand l’esprit reste coi
Et que meurent les mots avant que ne se pose
Le stylo sur le bloc, quand l’esprit fait la pause.

C’est chose qui m’advient, ce vide du cerveau
Quand je veux étonner, briller, faire le beau.
Il semble que le sort contre moi se dépense
Pour m’empêcher d’écrire et le sort m’est offense !

Allez, mes petits mots, reprenez le chemin
Des feuilles sans futur de ce bloc orphelin
Que je pense jeter, un jour, par la fenêtre…
Puisqu’il ne sert à rien… à m’humilier peut-être ?

Je rêve de génie, de paraître un géant
Mais je suis un tel nain que ça devient gênant
Pour l’image de moi (et c’est ce qui m’étonne)
Qui ne surprend jamais et n’éblouit personne..

Alors je triche un peu et quand se tait ma lyre
Des œuvres de plus grands quelque fois je m’inspire…
Mais croyez le ou non : ce n’est qu’en espérant
L’essor de mon génie que je m’en vais copiant.
.

Alpero



En savoir plus sur Alpéro ?  Ici 


Partager cet article
Repost0
17 octobre 2008 5 17 /10 /octobre /2008 05:44

                                    (Murillo, Le jeune mendiant (détail))


LE PETIT MENDIANT

Octave Mirbeau


– Veux-tu bien t’en aller, petit misérable, criait dans le jardin la Renaude, qui s’était armée d’un balai, attends, attends ! je vais t’apprendre à rôder autour des maisons.
Et elle menaçait de son terrible balai un petit mendiant qui, appuyé contre les planches du clos, la regardait, en lui faisant la grimace.
– Qu’y a-t-il ? la Renaude ? demandai-je.
– Vous ne voyez donc pas cet effronté, monsieur ? répondit la domestique. Voilà plus de dix minutes qu’il tourne autour de la maison… Sans compter qu’il n’a pas l’air bon, le vaurien… Je les connais, moi, ces vagabonds de malheur !… Il y a trois jours, la grange à Heurtebize, vous savez bien, elle a brûlé sans qu’on sache pourquoi, ni comment… Qu’est-ce que qui vous dit que ce n’est pas ce mauvais garnement, ou quelqu’un de sa bande ?… Attends, attends ! je vais t’en faire brûler, moi, des granges !
Je m’approchai du petit mendiant, et d’une voix sévère, je lui dis :
– Que fais-tu ici ?
– Je regarde, répondit l’enfant avec assurance.
– Mais que veux-tu ?
– Je voudrais bien du pain, ou n’importe quoi t’est-ce.
– Allons, viens, on te donnera du pain.
Mais l’enfant ne bougea pas. Sa figure, devenue grave tout à coup, avait pris une expression de méfiance.
– Viens donc, lui dis-je à nouveau.
Il me regarda avec de grands yeux craintifs.
– Vous ne me ferez pas de mal, dites, monsieur ? murmura- t-il.
– Mais non, petit imbécile !
– Ni la grosse femme, non plus, avec son balai, dites ?
– Mais non.
– Alors je veux bien venir.
Il remonta sur ses épaules un bissac plein de croûtes de pain qu’il avait déposé près du clos, et me suivit à la maison.
Je fis servir une tranche de boeuf froid, du pain bien frais et une bouteille de cidre au pauvre petit qui se mit à manger gloutonnement, mais non sans regarder autour de lui avec inquiétude. Ses yeux, vifs et mobiles, examinaient tout, fouillaient tout. On eût dit qu’il avait peur que quelque chose de menaçant n’apparût soudain sortant des meubles, de la cheminée, de dessous les pavés, du chaudron de cuivre jaune dont la panse reluisait comme un soleil au fond de la cuisine.
Il pouvait avoir treize ans. Sa figure bistrée était charmante et fine ; ses yeux, très noirs, largement cernés de bleu, avaient une expression à la fois gamine et nostalgique ; ses cheveux, noirs aussi, longs et plats, lui eussent donné l’air d’un page, comme on en voit dans les romans de chevalerie et sur les vieux vitraux, n’étaient la pauvreté de sa veste de toile déchirée en dix endroits, et la misère de son pantalon rapiécé et trop court qui montrait le bas des mollets, les chevilles délicates, les pieds nus racornis par la marche et jaunis dans la poussière des chemins. Il avait d’ailleurs une apparence de bonne santé et de force.
Quand il se fut rassasié, je l’interrogeai :
– De quel pays es-tu, petit ?
– Moi, je suis bohémien, c’est-à-dire que mon père était bohémien ; parce que moi, je ne suis de nulle part. Je suis né dans une voiture sur une route, loin d’ici, dans je ne sais plus quel pays.
– Tu as encore tes parents ?
– Mon père est mort.
– Et ta mère ?
– Je ne sais pas.
– Mais comment es-tu seul, ainsi ?
– Ah ! bien, voilà ! Mon père avait une grande voiture jaune, qui était notre maison. Nous allions de ville en ville. Mon père raccommodait la porcelaine et raiguisait les couteaux. Moi, je soufflais la forge, et je tournais la meule, et le chien gardait la voiture. On s’arrêtait à l’entrée des pays ; les chevaux mangeaient l’herbe des talus, et puis, quand on avait gagné une bonne journée, on faisait cuire la soupe au bord de la route… et mon père me battait. Mais il y a bien longtemps de ça ; je n’étais pas grand comme aujourd’hui. Puis mon père s’est cassé les deux jambes, puis après, comme il ne pouvait plus travailler, il s’est mis à mendier, et moi aussi. Il avait vendu la voiture, les chevaux ; il n’avait gardé que moi et le chien.
– Mais comment pouvait-il mendier avec les deux jambes cassées ?
– Ah ! bien, avec l’argent de la voiture, il s’était fait faire une machine à roulettes. Vous comprenez, il était comme assis sur sa machine à roulettes, qu’il poussait comme ça, avec ses deux mains… Ça ressemblait à un bateau… Vous avez bien vu des bateaux ?… Ah bien, mon père était comme qui dirait le bateau, et ses bras, comme qui dirait les avirons… Et puis, il est mort… Alors j’ai continué à mendier tout seul. Seulement, je n’aime pas les villes, je ne vais que dans les campagnes.
– Et tu n’es pas malheureux ?
– Non, monsieur. J’aime beaucoup ça. Quelquefois, on me permet de coucher dans des granges ; quelquefois aussi, on me chasse… Alors, voilà, je m’arrange toujours à trouver un abri… Dans les bois, monsieur, ça vaut mieux que dans les granges… Il y a de la bonne mousse, des bonnes feuilles sèches, et puis ça sent bon, et le matin, les oiseaux chantent, et je vois des lièvres, ou bien des biches, ou bien des écureuils…
– Mais comment fais-tu pour manger ?
– Quelquefois on me donne, alors c’est bien ; quelquefois on ne me donne pas, alors je vole.
– Comment, tu voles, petit misérable !
– Mais puisque je suis bohémien !
– Tu n’as pas peur qu’on te fourre en prison ?
– On ne peut pas, puisque je suis bohémien… Tout le monde sait ça.
– Qu’est-ce qu’on sait ?
– Qu’il est permis aux bohémiens de voler. Vous ne savez pas, vous ?… Mais c’est très vieux… Un jour, un bohémien passa auprès de la croix où se mourait Notre Seigneur. Il arracha les clous enfoncés dans les pieds de Notre Seigneur et les emporta. Depuis ce temps-là, Notre Seigneur a permis à tous les bohémiens de voler… Ah ! j’ai fini, dit l’enfant, en se levant… Je vas m’en aller, mais vous êtes un bon monsieur.
Le pauvre petit m’avait ému. Je lui demandai :
– Voyons, mon ami, ne voudrais-tu pas t’instruire, apprendre un métier ?
– Ah non ! répondit-il vivement… Pourquoi faire ?… J’aime mieux mes routes, mes champs, mes belles forêts, et mes bons amis les oiseaux… J’aurai toujours un lit de mousse pendant l’été ; des carrières bien chaudes, pendant l’hiver, et la charité du bon Dieu qui aime les petits bohémiens… mais vous êtes tout de même un bon monsieur… Adieu, monsieur… Merci, monsieur…
Je lui donnai quelques sous, bourrai son bissac de pain et de viande.
Et gaîment, comme saute un jeune chien, il franchit le seuil de la porte.

Je le vis qui s’était arrêté, à la haie prochaine. Il cueillit une branche de coudrier dont il se fit un bâton ; puis m’ayant envoyé un joyeux bonjour de la main, il galopa dans le chaume et disparut.

Pauvre enfant ! Peut-être a-t-il raison ! Et peut-être, autrement, serait-il devenu banquier, ou ministre !




Petite histoire : Ce texte est paru dans "Les  Contes de la Chaumières" (1894).

Pour une rapide présentation d'Octave Mirbeau (1848-1917), vous pouvez,  par exemple, aller voir  ICI.

Quant aux "contes de la Chaumière", vous en trouverez la version intégrale sur  Ebooks libres et gratuits (un vrai trésor, cette bibliothèque en ligne de livres du domaine public...).

Partager cet article
Repost0
13 octobre 2008 1 13 /10 /octobre /2008 08:20

                                                                             (photo (détail) : A. Boulanger)


Mémoire de louve

Isabelle Pozzi


Ce matin là, j’avais été réveillée par quelque chose. Je n’aurais pas su dire quoi, une impression, quelque chose d’inhabituel dans l’air… Je me suis donc levée très tôt et  après m’être préparée rapidement, je suis sortie de chez moi. J’habitais à cette époque loin de tout village en lisière de forêt dans une assez grande maison que j’avais baptisée « Ma Tanière » parce qu’elle était appuyée à flanc de colline et même en partie creusée dedans.

Dès mon premier pas dehors j’ai senti le froid. Les feuilles rousses craquaient sous mon poids et les arbres autour de moi étaient presque nus. J’ai marché un long moment au milieu des herbes hautes qui bordaient le chemin et je m’arrêtais de temps en temps pour boire par jeu les gouttes de rosée qui étaient restées accrochées aux graminées. Je n’avais pas donné de but à cette ballade très matinale. Mais je prenais un plaisir infini à me retrouver seule dans les bois et, seule au monde, en tout cas j’en avais l’impression. Le monde semblait m’appartenir.

Je me dirigeais tout droit vers la rivière en contrebas, dans le vallon, espérant y trouver quelques poules d’eau venues se désaltérer près d’une laune ou un jeune chevreuil avec sa mère. J’avançais  comme ça, l’esprit rêveur, distraite, au point que quand j’ai levé les yeux, sortant de mes pensées, j’avais perdu mon chemin. Je m’étais non seulement éloignée de la rivière mais en plus je me trouvais dans une partie de forêt que je ne reconnaissais pas du tout.

J’ai regardé autour de moi pour tenter de prendre des repères, de découvrir un chemin connu ou une souche que j’aurais déjà vue… mais rien. J’étais perdue. J’ai tendu l’oreille, je suis restée attentive un moment… et là… j’ai entendu…


Des pas humains venaient de ma droite, droit sur moi. Une présence aurait du me rassurer. Mais là, dans cette forêt, de bon matin, … je me suis cachée ! Bien à l’abri derrière un buisson je me suis tapie et je n’ai plus bougé pour ne pas faire craquer les feuilles mortes par terre. J’ai attendu. J’ai observé. C’était un homme. Plutôt grand, brun, de stature très fine. Apparemment ce n’était pas un chasseur. Ça m’a rassurée. J’ai toujours eu peur des chasseurs. Il s’est arrêté et s’est assis sur une grosse pierre arrondie juste en face de moi. Après un court moment, l’homme a pris une grande inspiration, il a fermé les yeux et s’est mis à chanter, doucement dans un souffle.

J’étais restée cachée et je le regardais et je l’écoutais. Et plus je le regardais et plus il me semblait différent des autres hommes que j’avais croisés dans ma vie. Il avait une douceur en lui qui lui donnait peut-être plus de force encore que les fusils n’en donnent aux chasseurs. Il me faisait penser à l’un de ces chefs de tribu qui, sûrs de leur supériorité et de la reconnaissance de leur clan, restent sereins en toutes circonstances. Ils n’ont plus rien à prouver ceux qui ont été hissés au rang de chefs respectés. Cet homme était comme ça. Assis, calme, au milieu d’une forêt parfois hostile aux hommes, il chantait doucement et semblait faire partie d’un ordre établi. Il m’a semblé tout à coup qu’il était à sa place ici.

A force d’écouter son chant, de le regarder, je m’étais retrouvée à découvert sans m’en rendre compte. C’est quand il a ouvert les yeux et qu’il m’a vue que j’ai compris. Et là il s’est passé la chose la plus étrange qui soit : c’est lui qui a eu peur de moi!  Alors là, je n’en revenais pas ! Que des lapins ou des biches aient peur de moi d’accord, ça c’était normal. Mais qu’un homme ressente de la crainte en me voyant, ça, je n’aurais jamais cru !  J’en étais presque gênée. Moi qui avais toujours su ce que je devais faire dans chaque circonstance de ma vie, je me sentais désarmée et gauche devant cette peur là.

Souvent quand on ne sait pas quoi faire, on écoute son instinct. Et bien là mon instinct à moi m’a dit de m’asseoir en face de cet homme et de chanter à mon tour ; et c’est ce que j’ai fait. Pendant que je chantais, peu à peu, j’ai vu son visage se détendre, son regard s’est apaisé, il m’écoutait et me regardait, calmement. Et puis son chant à lui a repris, doux comme un courant d’air. Et on a chanté comme ça, lui et moi, moi et lui, longtemps. J’ai eu à ce moment là un sentiment de liberté que je n’avais jamais connu avant, et que je n’ai jamais plus retrouvé par la suite.

Au bout d’un long moment je me suis tue, pour mieux l’écouter. Mais lui, il s’est tu aussi. Peut-être par courtoisie. Un grand silence s’est installé, profond et vivant entre nous. J’ai sentit ma queue balayer les feuilles mortes derrière moi. Lui, il a tendu sa main, l’a approchée à une longueur de moustache de mon museau puis, voyant que mes oreilles se penchaient vers l’arrière, vieux reste de crainte légitime, il a renoncé à sa caresse. Nous avons tous deux respecté ce beau silence et après un dernier long regard de ses yeux d’homme dans mes yeux de louve, de mes yeux de louve dans ses yeux d’homme, nous avons repris chacun notre chemin.

Curieusement, j’ai retrouvé tout de suite celui qui me ramènerait à « Ma Tanière »…


(photo (détail) : A. Boulanger)


Petite histoire : Isabelle Pozzi est conteuse mais, de temps en temps, elle prend la plume - ou le pinceau - avec plaisir. Vous pouvez la trouver sur son site ou dans le forum Contes et Lez'arts.

Partager cet article
Repost0
9 octobre 2008 4 09 /10 /octobre /2008 06:09

Domini cane

(L'eau est si reposante...)

Marie-Catherine Daniel


C'était en sortant de la morgue de l'hôpital. Dom suivait l'allée mal éclairée qui mène à  la sortie principale. Il flottait dans un énorme nuage sombre. Il n'avait pas mal, il se sentait seulement complètement épuisé. Un pas après l'autre vers son lit et ne pas y penser : c'était le seul espoir de l'atteindre. Juste savoir qu'il passerait par les quais parce que c'est plus court et que l'eau est si... reposante.

Il a buté dans le carton, a failli s'étaler dessus. Le carton a glapi. D'une toute petite voix aiguë, presque aussi malheureuse qu'il aurait dû l'être.

Nicky était dans le carton, plus mouillée qu'une serpillière.

Il l'a longuement regardée, est sorti peu à peu de son hébétude, prenant conscience que lui aussi était trempé, que lui aussi tremblait de froid et de misère, que son regard à lui aussi criait : « Je n'ai plus de père, je n'ai plus de mère. Sauve-moi ! »

Il a pris Nicky dans ses mains et l'a glissée dans son blouson. En se relevant, il a vu un homme, un bel homme entre deux âges vêtu d'un costume sombre qui, à quelques réverbères de là, regardait vers eux, puis s'éloignait à grand pas. Ce devait être lui qui abandonnait le chiot. Mais qui vérifiait tout de même que quelqu'un trouvait le carton. Quoiqu'il en soit, Dom lui serait éternellement reconnaissant de lui avoir offert Nicky.

 

Car depuis Nicky, Dom a enfin réussi à faire le deuil de sa vie d’avant. Certes, il a raté son bac mais il a décidé qu'être orphelin n'est pas une bonne excuse pour un type majeur depuis plus d'un an. Il aura son bac cette année et fera ses études de médecine comme il l'a promis à ses parents, il y a quatre ans. Quand ils lui ont avoué que le sida les tuait à petit feu. Les assurances-vie lui permettent et lui permettront encore longtemps de ne pas avoir à gagner d'argent.

Depuis au moins trois mois, il n'a pas eu de relance pour l'eau ou l'électricité et les coupures de téléphone sont de l'histoire ancienne. La gestion des factures est au point. Il ne mange plus de sandwiches ou de pizzas qu'un jour sur deux. Il a appris qu'une cuiller d'huile dans l'eau des pâtes les empêche de coller et que la soupe en brique est meilleure qu'en sachet.

 

Il inviterait bien quelqu’un à dîner, mais il ne sait pas qui. Ses anciens copains en sont encore aux baggies, les dealers de la cour de l'immeuble ne l'intéressent pas, les parents des uns et des autres le regardent avec commisération. Non, la seule qu'il aimerait mieux connaître, c'est Domi.

C'est grâce à Nicky qu'il a rencontré son regard. Jusque là, l'adolescente le laissait plutôt froid : encore une gamine qui se faisait avoir par Angelico et se croyait la reine des gothiques avec son pitbull ridicule. Sauf que Nicky s'est prise d'affection pour le saucisson à pattes et qu’un soir où il ne tenait pas la laisse, elle s'est précipitée. Les deux chiens se sont fait la fête dans les règles. Amusant comme ils sont différents à l'extrême et partagent pourtant les mêmes taches noires sur fond blanc.

Bref, c'est comme ça qu'il a croisé son regard. Un choc presque aussi fort que sa rencontre avec Nicky. Elle a eu la bonne idée de rougir. Du coup, il a osé lui demander son nom, lui dire le sien et ils ont ri niaisement d'avoir le même. C'était... puissant. Puis Angelico a débarqué et elle est partie avec lui.

 

Tiens en parlant du loup... la voilà qui arrive sur le quai d'en face. Elle a l'air étrange. Et son idiot de chien qui saute partout ! Mais ?... Elle va tomber !

 

***

 

Wouaou ! Voilà ce qu'on appelle un sauvetage in extremis ! Nicky, tu n'as pas amené ton humain sur le bon quai mais, tout compte fait, la démonstration de crawl était palpitante à souhait puisque ma Domi est saine et sauve dans les bras de ton Dom.

J'ai comme l'impression que ces deux-là vont d'ici peu se débrouiller sans nous.

 

Ainsi soit-il, Domini Cane, rigole Nicky.

 

 

 

 

Petite histoire : Cette nouvelle a été éditée dans Sans Dominique Fixe, Master2 Edition, Université Paris-Sorbonne, mars 2007 (anthologie présentée au Salon du Livre de Paris, mars 2007)

 


 

 




Partager cet article
Repost0
8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 06:09

Domini cane

(L'eau est si reposante...)

Marie-Catherine Daniel


Y a des jours où on en a marre de traîner sa tronche partout.

Surtout que sa tronche à lui, non seulement elle fait peur aux gens, mais surtout elle bave. Que c'en est écoeurant même pour lui. Y a qu'à écouter son reniflement dégoûté quand ça fait splash sur la moquette ou ploc sur le carrelage.

Au moins sa trogne à elle ne bave pas. Quoique, rien que de penser au splouich que va faire le dernier-né de ses boutons en s'écrasant sur la glace ce soir, elle a de bonnes raisons d'estimer que Mido et elle, c'est kif-kik.

Et puis « Tel maître, tel chien » et inversement. De toute façon, y a plus rien à faire : c'est elle qui a supplié son père d'accepter le cadeau d'oncle Henri. Pour une fois que l'évêque ne lui offrait pas une poupée ou une bondieuserie ! Ok, ok, elle exagère un peu. Mais n'empêche, c'est bien oncle Henri qui lui a offert Les Dix Commandements pour ses dix ans, non ?

D'accord, tout petit, Mido était déjà une horreur ambulante.

— Un pitbull ! , s'est écrié son père horrifié.

— Un petit chien abandonné devant l'évêché ! a contredit Oncle Henri sur le ton  paternel-stressant avec lequel il prêche.

Pour une fois, ça n'a pas du tout énervé Domi : elle sait trop l'effet que cet air-là a sur son père. « Un pitbull ! », jubilait-elle intérieurement « Un pitbull pour une gothique ! Ça, c'est la classe ! » Et c'est comme ça qu'elle s'est retrouvée à jurer ses grands dieux qu'elle assumerait le chien à 100%.

 

Avec tout ça, le bestiau continue de se tortiller. Deux jours qu'il n'est pas sorti. Sa vessie va finir par exploser, si elle ne se décide pas à le promener.

Sauf qu'il en est hors de question.

Elle ne peut pas aller sur les quais avec cette eau... cette eau si... Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Si elle ne peut pas sortir, c'est parce que, là, dehors, y a Angelico. Elle lui doit dix euros pour le dernier cachet d'ecstasy. Trois jours qu'il attend. Sûr qu'il va péter un plomb si elle ne le rembourse pas aujourd'hui.

Les dix euros, elle les aura ce soir avec le reste de son argent de poche et... hum... en fait... elle sait très bien qu'Angelico n'en est pas à un jour près. Ni même a une semaine d'ailleurs. Lui, ce qu'il veut, c'est la mettre au lit. Non merci, elle a déjà donné : le beau dealer blondinet est une brute finie. Même sous ecsta.

En fait, là, dehors, elle pourrait tomber sur Dominique. Enfin peut-être... Et Dominique, c'est con, c'est débile, c'est irrationnel et pas du tout gothique, Dominique, il l'intimide. Que c'en est honteux de l'admettre et d'en être aussi terrifiée. Surtout que, elle, elle est trop ... sale pour lui. Alors à quoi bon avoir mal au ventre et se vider d'angoisse de tous les côtés ?

C'est vrai ça ? À quoi bon ?

— Allez viens Mido, viens pisser un coup.

 

***

 

En rentrant du travail, je n'en crois pas mon nez ! Ça sent la crotte de chien à en suffoquer. L'urine aussi d'ailleurs. Je ne mets pas trente secondes à découvrir sur le balcon une serpillière trempée, à moitié ensevelie sous... on devine quoi !

Je hurle : « Dominique ! »

Ma fille surgit dans la pièce à toute allure. Évidemment, elle comprend immédiatement.

— Oh, papa ! Désolée ! J'avais fermé la fenêtre pour m'en occuper après mes devoirs, mais le vent a dû la rouvrir. Attends, je vais nettoyer tout de suite.

Son ton est tellement contrit que ma colère tombe immédiatement. Je me mords les lèvres, pour ne pas lui pardonner avant qu'elle n'ait réparé sa bêtise.

Elle est déjà partie et revenue de la cuisine avec un sachet en plastique. Un peu éberlué, je vois ma fille, si délicate habituellement, saisir la chose à pleine main et la fourrer dans le sac en expliquant :

— Je suis vraiment désolée. C'est de ma faute. J'ai oublié de sortir Mido ce matin. Le pauvre toutou a eu l'intelligence d'aller sur la serpillière du balcon. Et quand je suis rentrée du lycée, tout à l'heure, je me suis dit que ça attendrait bien que j'ai fini mes devoirs. Je ne t'attendais pas si tôt.

Je sais fort bien ce que signifie ce petit ton précipité et enjoué. Dominique craint que je ne m'en prenne au chien. Elle a promis de s'en occuper seule et depuis trois mois qu'il est là, c'est la première fois qu'elle manque – et encore le terme est trop fort – à sa parole. En fait, une bouffée de fierté paternelle m'envahit : ma fille vient à peine d'avoir quinze ans et tient bien mieux ses promesses que la plupart des adultes.

— Pour cette fois, ça ira Dominique. Finis de nettoyer et va jeter tout ça dans la poubelle du porche.

Je pars m'enfermer dans mon bureau pour échapper à l'odeur. Je m'assieds dans mon fauteuil et accuse enfin le coup.

Ces temps-ci, ma fille m'inquiète. Elle multiplie les distractions. La semaine dernière, elle a laissé brûler les pommes de terre. Avant hier, elle a mal fermé le robinet de la douche et la bonde était close. Et comme je suis rentré du conseil d'administration à onze heures du soir...

J'ai raconté l'affaire à Caroline pendant la pause de midi. Elle dit qu'il n'y a rien d'inquiétant, que Dominique est désormais adolescente et que j'ai bien de la chance qu'elle m'en fasse si peu baver. Elle explique aussi par son âge son goût pour le noir. Elle dit que tant que Dominique n'est pas constamment tout en deuil – et il est vrai qu'elle porte toujours quelque chose de couleur qui égaie sa tenue – je n'ai pas à me faire de mouron. Elle m'a raconté que sa fille à elle, il y a trois ans, passait son temps soit à hurler, soit à faire la tête. Je conçois très mal Dominique avec un tel comportement !

Cependant, je me demande si j'ai bien fait d'accepter la direction du service à cette époque de la vie de ma petite « Domimoiselle »…

 

***

 

Là, y a plus le choix : si elle ne descend pas cette foutue puanteur, son père va se douter de quelque chose. Et faut qu'elle se magne, parce que, franchement, elle va finir par dégueuler avec cette odeur. Dégueuler ? Peu de chance quand même, avec ce qu'elle a déjà dégusté aujourd'hui.

Elle reste plantée là. Vide.

— Bouge-toi, ma fille ! Ta fatigue, t’as qu'à l’assumer. Faut dormir la nuit espèce de déjantée !

Gentil Mido qui la sort de sa torpeur en remuant son arrière-train de porcelet et en gémissant… Quoi ? Il a encore envie ? Oh, et puis merde, là c'est un moment où elle se fout de tout alors autant en profiter.

— Papa, crie-t-elle, je descends la poubelle et je sors le chien !

Elle n'attend pas de réponse en mettant la laisse, il n'y en aura pas, son père est de nouveau plongé dans ses dossiers.

 

 

(à suivre)



Partager cet article
Repost0